Into the wild

© Robert Gumpert/NB Pictures

Fuyant en Alaska une vie qui bat de l’aile, une femme déchante à mesure qu’elle découvre une région sinistrée et hostile. Cruel et hilarant.

À 40 ans, Josie n’en peut plus. Sa vie dans l’Ohio ressemble à une épave abandonnée sur le bord de la route. Il y a d’abord ce mari qui a quitté le domicile sans préavis -pas vraiment une grande perte vu la veulerie et les incessants problèmes de plomberie corporelle de Carl, mais un coup dur quand même pour l’estime de soi. Il y a ensuite le poids de la culpabilité dans la mort en Afghanistan de Jeremy, le baby-sitter de ses enfants, qu’elle a encouragé à s’engager, ce que les parents du jeune homme ne lui pardonnent pas. Il y a enfin la perte de son cabinet dentaire suite à la plainte d’une patiente rancunière qui l’accuse de ne pas avoir détecté à temps un cancer. À bout, Josie décide de disparaître purement et simplement. Direction l’Alaska, sans plan précis, juste avec l’idée de bourlinguer à bord d’un camping-car et l’espoir de trouver sur ces terres sauvages sinon un sens à une existence en lambeaux, du moins une forme de communion avec la nature et avec ses deux compagnons d’échappée, la tornade Ana et le très raisonnable Paul, respectivement cinq et huit ans.

Fausse route

Mais la résurrection attendue n’est pas au rendez-vous. À l’image de ce mobil-home de location pompeusement baptisé « Le Château » par son propriétaire et qui accuse sérieusement le poids des kilomètres, ce Grand Nord fantasmé est un mythe chiffonné, surfait, délabré. Josie espérait trouver ici la liberté, un second souffle, une direction, une stabilité aussi, elle qui a toujours eu le sentiment de ne jamais être au bon endroit:  » Et elle s’interrogea sur ce gène qu’elle possédait, ce fil d’ADN étouffant qui lui disait, tous les jours, qu’elle n’était pas là où elle aurait dû se trouver. » À la place, la fugitive va aller de désillusion en désillusion dans cette arrière-cour d’un pays barbare peuplé de promesses avortées. Rien n’est léger ni accueillant dans le coin: ni la soeur qui a su avec les mêmes cartes familiales branlantes se fondre dans le paysage, mais dont l’assistance affective sonne faux; ni les autres chasseurs de chimères venus chercher la rédemption aux frontières de l’empire; ni même les habitants, dont l’hospitalité tiède, intéressée ou hostile se révèle à chaque fois décevante. Une menace plane en permanence sur leurs têtes, symbolisée par les feux de forêts qui consument la région et obligent le trio à fuir toujours plus loin vers l’inconnu.

Into the wild

Dans le féroce et flippant Le Cercle, Dave Eggers passait à la moulinette de son regard acide les mirages de la société numérique. Autre décor, autre cible: l’auteur engagé (il a lancé une chaîne de « boutiques de lecture » pour jeunes illettrés) profite de cette escapade initiatique aux confins de l’Amérique pour balayer les dernières lueurs d’espoir d’une civilisation usée jusqu’à la corde. Mère célibataire trimballant deux enfants, Josie est une proie facile. Qui combat la dépression, la solitude et la poisse avec son arme de prédilection: l’autodérision. L’ironie surgit ainsi à chaque virage de ce road trip jalonné de digressions aussi drôles que cinglantes: sur son rôle approximatif de mère, sur ces bobos en colère qui ont colonisé sa ville, et sur ce pays  » qui s’essayait de temps à autre au progrès et aux lumières, mais sinon dépourvu d’inspiration, enclin au cannibalisme, à la dévoration des jeunes et des faibles (…). » Un roman de mésaventures qui fait feu de tout bois!

Les Héros de la frontière

De Dave Eggers, éditions Gallimard, traduit de l’anglais (États-Unis) par Juliette Bourdin, 400 pages.

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