APRÈS AVOIR ENREGISTRÉ DANS UN CHALET DE CHASSE, C’EST DANS UNE ANCIENNE CLINIQUE VÉTÉRINAIRE QUE JUSTIN VERNON A MIS EN BOÎTE LE 2E ALBUM DE BON IVER. UN DISQUE PLUS OPTIMISTE, ÉCLECTIQUE ET ÉLECTRIQUE MAIS AUSSI NETTEMENT MOINS CONVAINCANT.

« I ain’t livin’ in the dark no more. » ( » Je ne vis plus dans l’obscurité. « ) Ces quelques mots extirpés du 2e album de Bon Iver ( lire la critique page 35) résonnent autant dans la vie que dans la musique de Justin Vernon.  » C’est pour moi la phrase la plus importante de ce disque« , avoue le songwriter d’Eau Claire, Wisconsin, alors qu’une méchante averse rafraîchit soudainement l’air bruxellois et s’abat sur la cour du Dominican Hotel. Le type déprimé, séparé de sa petite amie et de son groupe qui, il y a 4 ans, jouait pendant 3 mois les ermites, hibernait dans le chalet de chasse de son père et en ressortait avec un disque bouleversant, For Emma, forever ago, est aujourd’hui un homme serein et apaisé.  » Ce qui a changé ma vie, c’est de décider. Décider que le bonheur est plus puissant que la tristesse. »

Robin Pecknold s’est rendu malade avec le 2e album de Fleet Foxes. Battles s’est tapé la tête aux murs pour enregistrer le successeur de Mirrored. Justin Vernon, lui, a pris son temps et ses aises. Quand on lui parle de Bashung qui pouvait mettre une semaine pour un mot, une virgule, l’Américain sourit.  » Je suis fait dans le même moule. Je peux passer des jours et des jours sur une phrase, un passage, une tournure. Les paroles de Calgary m’ont pris un an. Et j’ai mis 3 longues années pour terminer Perth . »

L’écriture n’en reste pas moins un plaisir. Un plaisir que le succès n’est guère parvenu à endommager.  » J’ai commencé à travailler sur ce 2e album alors que le premier sortait. Je voulais quelque chose de nouveau, d’excitant. Ça m’a juste pris du temps. Le temps de vieillir. De grandir. Je n’ai pas ressenti la moindre pression. Au contraire. Je me disais que sortir un mauvais disque que personne n’aimerait serait une bonne excuse pour rentrer vivre calmement à la maison. » Vernon est enclin au mal du pays. Ce 2e album, il l’a d’ailleurs enregistré dans son jardin. Une clinique vétérinaire qu’il a achetée avec son frère en 2008 pour quelque 250 000 dollars. Une bâtisse située à 3 miles de la maison dans laquelle il a grandi et à 10 minutes du bar où ses parents se sont rencontrés.  » J’ai construit le studio en même temps que le disque. C’est un ranch immense avec 6 chambres et une ancienne piscine couverte. Un endroit assez bizarre. Mais avec de super vibes. Les animaux s’y refaisaient une santé. »

Vernon fait attention à la sienne. Il a réfléchi comme beaucoup à l’idée d’enregistrer des disques sans tourner pour les défendre.  » Beaucoup oublient souvent que nous sommes des êtres humains. Qu’on existe à côté de la musique. « T’es un artiste. Sors de chez toi. Joue pour ton public.  » C’est pas comme ça que ça marche. Robbie Robertson de The Band dit que la vie sur la route est impossible. Et il a raison. J’aime trop jouer que pour abandonner la scène mais tu ne peux pas tourner 300 jours par an. Dans les mois qui ont suivi la sortie de For Emma… , j’ai plusieurs fois vu le burn-out pointer le bout de son nez. »

West side story

En même temps, Vernon n’a rien fait pour calmer le jeu. En 3 ans, il a sorti un EP, Blood Bank. Enregistré 2 morceaux pour la compilation Dark Was The Night dont les bénéfices ont été reversés à la lutte contre le sida. Mis en boîte un album avec Collections of Colonies of Bees sous le nom de Volcano Choir. Et fondé le collectif de soft-rock Gayngs avec une vingtaine de musicos, membres de Solid Gold, The Rosebuds, ou encore de son ancien groupe Megafaun. Il a aussi participé à 7 morceaux du dernier Anaïs Mitchell. Et, plus surprenant, a donné un coup de main à Kanye West pour enregistrer, à Hawaii, My Beautiful Dark Twisted Fantasy. Disque qui contient un sample de sa chanson Woods et sur lequel il donne de la voix.

 » Cette collaboration n’a pas étonné mes proches. Mes vieux potes savent que j’écoute énormément de hip-hop et de R’n’B. J’adore des types comme Kanye, Mos Def et Talib Kweli. »

Changement de décor

Monsieur Bon Iver connaît le rap. Il est aussi devenu expert en séries télé depuis qu’il a vendu ses chansons à Grey’s Anatomy, Skins, House et Chuck.  » Je suis plus sélectif avec le cinéma« , glisse-t-il en soulignant que les réalisateurs l’inspirent. Que David Lynch, Sofia Coppola, Michel Gondry lui permettent de mieux comprendre la musique.

Faut dire que les lieux, l’ailleurs, semblent obséder le songwriter pourtant casanier qu’il est. Perth, Calgary, Lisbon… Les titres des nouvelles chansons de Justin Vernon sont pour la plupart des noms de ville. Ou à tout le moins d’endroits. « Wash , c’est Washington State. Mais le morceau parle plus de mon patelin d’Eau Claire. Holocene est à la fois un bar à Portland et une époque géologique. Chaque nom a un double sens.  »

Toutes ces chansons parlent d’ailleurs moins de lieux que de ce qu’il s’y est produit, de ce qui aurait pu y arriver ou pourrait à l’avenir s’y passer.  » Chacun interprètera ces morceaux à sa manière. En fonction de ce que ces endroits représentent à ses yeux. Les gens ne savent pas par exemple à quoi ressemble le chalet dans lequel j’ai enregistréFor Emma . Mais ils s’en sont fait une idée. Je trouve ça beau. »

Beau comme le monde -le violoniste/guitariste Rob Moose (The National, Antony & The Johnsons), le saxophoniste Colin Stetson (Tom Waits, Arcade Fire)…- que Vernon a invité sur son album et à qui il a permis d’apporter des touches à ses décors. Même si on a peu de chance de leur décerner un Oscar… l

RENCONTRE JULIEN BROQUET

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