UNE BANDE DE JEUNES EXPATRIÉS, CULTIVÉS ET ENGAGÉS, ÉTINCELLE DANS LA CONSTELLATION DU ROCK MONTRÉALAIS. DAVID BYRNE, SORS DE CE CORPS…

Sur scène, on ne voit que Tim Beeler, grand échalas qui a la peau sur les os, le visage coupé au scalpel et des déhanchements saccadés qui le feraient passer sans test de paternité pour le fils caché de Ian Curtis et de David Byrne. En coulisses, la voix timide, le garçon se fait plus discret. Beeler, un folkeur du New Hampshire, a rencontré le claviériste du New Jersey Matt May, le bassiste Ben Stidworthy de Portland et le batteur australien Tim Keen à Montréal. Attirés dans la deuxième plus grande ville du Canada par le coût de la vie, son multiculturalisme, la qualité de sa scène musicale (biffez pour chacun les mentions inutiles), tous ont fréquenté l’université de McGill. May y a étudié la sociologie et l’Histoire, Stidworthy les sciences religieuses et Beeler suivi un cursus en communication et matières culturelles. Keen atterrissant dans le temple du hockey sur glace et de la poutine via un programme d’échange…

Les quatre expats ont commencé à jammer dans le salon de leur appartement sur Mont Royal transformé par l’usage en local de répète. Des murs entre lesquels Ought a donné ses premiers concerts et enregistré son premier EP avant de signer sur Constellation, label indépendant aussi célèbre pour son intransigeance artistique (Godspeed You! Black Emperor, Carla Bozulich, Thee Silver Mt. Zion…) que pour son image anticapitaliste et altermondialiste.

Ought, comme son remarquable et enthousiasmant album inaugural More Than Any Other Day, a été profondément marqué par le contexte social et politique de sa terre d’accueil. En particulier par le Printemps érable. Les grèves et manifestations estudiantines québécoises de 2012 contre la hausse, par le gouvernement libéral, des droits de scolarité universitaire. Comment rester enfermé à écouter de la musique quand 20 000 personnes défilent sur le pas de votre porte? « Ce soulèvement nous a quelque part servi de catalyseur, explique May. Nous sommes étrangers. Nous n’étions pas vraiment affectés par les nouvelles mesures. Nous avons cependant soutenu les générations futures de jeunes Québécois. J’ai grandi dans le New Jersey. Je n’avais jamais été très actif politiquement. Mais le fait de descendre dans la rue, d’exprimer ses opinions et de le faire ensemble avait du sens. »

Action collective

Sorte de créature surnaturelle à quatre têtes, Ought articule sa pensée collectivement. Today, together… On imagine ses membres se rassurer mutuellement comme ils réconfortent en s’époumonant un vieux passager de train dans leur chanson Today More Than Any Other Day… L’un s’interroge. « Trois ans après ces mouvements étudiants, qu’en reste-t-il vraiment? Je ne vais pas dire que rien de positif n’en a découlé. Mais politiquement, j’ai le sentiment qu’on en serait au même point si rien du tout ne s’était passé. » L’autre apporte sa part de réponse et jette des ondes positives. « En Australie, même si tu t’intéresses à la gauche, aux gens les plus progressistes, la pensée est marquée par un certain cynisme. Les citoyens semblent convaincus que partis ou mouvements de masse ne changeront rien. Donc, tout le monde regarde, se regarde, et presque plus personne n’agit. D’un point de vue pragmatique, c’est compréhensible. Les manifestations n’ont rien changé au système. Mais ce qui fut important pour moi, c’est d’avoir fait partie d’un groupe, d’une communauté qui a mis son pessimisme de côté et de m’être fondu dans une grande action collective. » Une phrase qui semble résumer à elle seule la dynamique d’un projet musical dont Beeler écrit certes les paroles mais le fait pratiquement en direct. Lors des répétitions et dans un flow souvent spontané. Ses textes évoquent le quotidien, les boulots de merde, le sens de la vie et les inquiétudes qu’elle suscite…

L’un a beau être amateur de jazz et de musiques électroniques (« surtout du dubstep, des trucs de la fin des années 90 et du début du siècle »), l’autre avouer avoir beaucoup écouté Netsky et St. Vincent et le troisième clamer son intérêt pour Janis Joplin et Bob Dylan, Ought est sur le fond et la forme une espèce de croisement, tendu et arty, entre le post punk d’un Gang of Four et celui d’un Talking Heads. Avec une touche de Battles par-ci, de Clap Your Hands Say Yeah, de The Ex ou de Feelies par-là. Enregistré en trois jours et mixé en trois autres à l’Hotel2Tango, dans le QG de Constellation, par Radwan Moumneh (Suuns, Matana Roberts), More Than Any Other Day prône la solidarité jusque sur la photo de sa pochette (des mains empilées), trouvée par une amie dans une poubelle. « Elle a longtemps été accrochée dans notre cuisine. Elle a été prise lors d’un exercice de team building en entreprise. On aimait bien cette idée de communauté, de forces qui se rejoignent. Même si les têtes des participants, qu’on ne voit pas, sont plutôt tristes. »

Mine de rien, Ought est devenu le fer de lance d’une communauté Do It Yourself montréalaise tirée par le collectif Loose-Fit qui monte des concerts « paie ce que tu peux » à la Brasserie Beaubien dans le quartier de La Petite-Patrie. « Nous avons parfois l’impression que les organisateurs en Amérique du nord ne font pas grand-chose pour promotionner leurs événements. Ils se contentent de programmer un paquet de groupes et d’en poster la liste sur leur site Internet. Nous essayons de faire bouger tout ça. » Entre participation à une radio de campus (CKUT), gestion d’un petit label de cassettes et side projects divers, ses membres sont devenus de véritables agitateurs culturels… Take me Ought.

MORE THAN ANY OTHER DAY, DISTRIBUÉ PAR CONSTELLATION/KONKURRENT.

9

LE 31/05 AU VOORUIT (GAND) ET LE 21/08 AU PUKKELPOP.

RENCONTRE Julien Broquet, À Utrecht

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