TROIS OEUVRES MAÎTRESSES DES DÉBUTS DU CINÉASTE, FER DE LANCE DE LA NOUVELLE VAGUE JAPONAISE, ET FUTURE DOUBLE PALME D’OR, BÉNÉFICIENT D’UNE ÉDITION EXEMPLAIRE.

Cochons et cuirassés

DE SHOHEI IMAMURA. AVEC HIROYUKI NAGATO, JITSUKO YOSHIMBURA. 1 H 48. 1961. ÉD: ELEPHANT FILMS. SORTIE: 03/11.

La Femme insecte

DE SHOHEI IMAMURA. AVEC SACHIKO HIDARI, EMIKO AIZAWA. 2 H 02. 1963. ÉD: ELEPHANT FILMS. SORTIE: 03/11.

Le Pornographe

DE SHOHEI IMAMURA. AVEC SHÔICHI OZWA, SUMIKO SAKAMOTO. 2 H 08. 1965. ÉD: ELEPHANT FILMS. SORTIE: 03/11.

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Figure emblématique de la nouvelle vague du cinéma japonais aux côtés de Nagisa Oshima et autre Kiju Yoshida, Shohei Imamura (1926-2006) devait accéder à une large reconnaissance internationale au début des années 80, à la faveur de la Palme d’or octroyée à La Ballade de Narayama, bientôt suivie d’une autre pour L’Anguille. Elephant Films a l’excellente idée de (ré)éditer aujourd’hui trois de ses oeuvres de jeunesse, restaurées pour la circonstance, et assorties de compléments de choix -de riches présentations de chaque film, mais aussi Shohei Imamura, le libre penseur, le documentaire que lui consacrait Paulo Rocha en 1995, dans la série Cinéma, de notre temps.

Si Imamura est considéré comme le cinéaste du désir, Cochons et cuirassés (1961), le premier de ces films, restitue la mesure politique de son oeuvre. A 30 kilomètres de Tokyo, la petite ville de Yokusuka sert de base navale à l’armée américaine, prostitution et trafics divers y prospérant dans la foulée. Soit l’environnement vicié dans lequel évoluent Kinta et sa petite amie Haruko, couple désargenté rattrapé par la corruption généralisée dès lors que le jeune homme commence à frayer avec les yakuzas. Imamura dissèque le Japon de l’après-guerre à la manière d’un entomologiste, posant une critique virulente de l’occupation américaine, en une satire féroce doublée d’une parabole assassine du Japon livré aux « porcs ». La Femme insecte (1963) file une autre métaphore animalière, retraçant, sur un demi-siècle, le destin d’une femme, Tome -Sachiko Hidari, éblouissante-, lancée à la poursuite opiniâtre de son destin, celui d’une fille de la campagne débarquée à la ville, et prête à tout pour réussir -du commerce de ses charmes à l’exploitation d’autres jeunes femmes. S’il maintient son approche anthropologique à l’abri de tout jugement moral, le cinéma d’Imamura s’y colore aussi de désir, la sexualité s’épanouissant ici sans tabous. D’une crudité réaliste, il y a là un saisissant portrait de femme, relevé, en filigrane, de celui de la société japonaise, dont la caméra enregistre les soubresauts.

Tourné deux ans plus tard, Le Pornographe poursuit dans une veine voisine. La figure centrale en est cette fois Ogata, un homme tournant clandestinement des films érotiques qu’il revend à des particuliers dont il satisfait les fantasmes jusqu’aux plus étranges. Commerce qui lui vaut d’être l’objet de l’attention des autorités comme des yakuzas, tandis qu’il ne tarde pas à succomber aux charmes de sa belle-fille. Corruption, aliénation, matérialisme conquérant et misère sexuelle tapissent cette peinture étouffante de la société nippone; s’il était éminemment critique du Japon d’alors, Imamura anticipait aussi brillamment le monde d’aujourd’hui. Un must.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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