Un type déguisé en canard peut-il être le plus grand mélodiste au monde? Après un quart de siècle d’albums vulgaires, Elton John propose le rédempteur Union. À la veille d’un concert bruxellois, Focus épingle 3 raisons d’aimer -à nouveau- le milliardaire emperruqué.

1. Elton, c’est djeune

Mika, Jamie Cullum, Lenny Kravitz, George Michael, Daniel Powter, Guns N’ Roses, Robbie Williams: les noms d’aujourd’hui (et d’hier aussi) prônant les louanges d’Elton John se ramassent à la pelle. Cela semble plutôt naturel chez les adeptes du sucre d’orge (Mika, Powter, Williams), un peu moins chez les tankistes hard. Faut voir sur YouTube l’impayable Axl Rose mouillant son kilt de cuir noir avec Elton sur le théâtral Bohemian Rhapsody en 1992 lors du concert de Wembley dédié à Freddie Mercury. On s’étonne donc davantage d’Alice In Chains reprenant le Curtains d’Elton que de Lady Gaga duettisant avec l’homme aux 1000 perruques dans Hello, hello, nouveau titre au générique du prochain Disney, Gnomeo & Juliet, planifié pour février 2011. Plus étonnant, Big John a même réussi le crossover rap: il est incorporé, in vivo, dans le Ghetto Gospel de Tupac Shakur, album posthume produit en 2004 par Eminem qui a samplé un morceau peu connu de 1971, Indian Sunset. Assez curieusement, le petit branleur blanc accusé de paroles homophobes va tisser une relation d’amitié avec l’Anglais anobli en 1998, initiée aux Grammy Awards de 2001. Pour l’occasion, le rapper invite Elton à duettiser sur Stan: un triomphe global où le yin et le yang humain finissent devant quelques millions de spectateurs, main dans la main. Dans le contexte peu homo-friendly du hip hop américain, le geste est grandement symbolique. Par la suite, la relation complice entre Eminem et John prendra des airs de subordination élève-maître: accro à l’alcool et à une jolie liste de boulets pharmaceutiques (Valium, Methadone, Vicodin), Eminem fait appel à l’aîné dont il sait  » qu’il est passé par là ». Pas tout à fait: les trucs d’Elton -désintoxiqué en 1990- c’était l’alcool et la coke.

2. Elton, c’est physique

Clairement: Elton aurait eu le look avantageux de ses contemporains anglais Bowie ou Jagger, il se serait pris nettement moins de cageots méprisants sur le râble. D’autant qu’il sème le trouble sur ses préférences sexuelles: en 1976, il fait son coming out dans Rolling Stone , déclarant  » que tout le monde est bisexuel à un certain degré ». Il épouse d’ailleurs l’ingénieuse du son Renate Blauel en 1984. Le mariage durera 4 ans. Depuis 1993, il a confirmé sa gay-attitude en couple avec le Canadien David Furnish, de 15 ans son cadet. Né en 1947 dans une famille vite éclatée, Elton a tout fait pour se parodier, s’enlaidir, se scénariser lui-même. Pas tout de suite. Jusqu’au mitan des années 70, il trimballe une allure relativement sobre: lunetté et mélancolique, polo de grisaille d’artiste. En compagnie du parolier Bernie Taupin, il écrit une armée de chefs-d’£uvre mélodiques, comme si le rock vintage avait couché avec Bach ou Mozart pour enfanter des elfes accros au piano. Les arrangements de ses disques seventies, signés Paul Buckmaster, sont classieux. Your Song, Goodbye Yellow Brick Road, Rocket Man, Daniel, Crocodile Rock mais aussi tous ces morceaux où Elton s’ouvre de ses propres blessures marquantes en utilisant des personnages réels -Marilyn Monroe dans Candle In The Wind- ou ses propres fantômes intimes, imaginant son futur hymne funéraire ( Funeral For A Friend) ou un mariage hétéro qui ne se réalisera jamais ( Someone Saved My Life Tonight). Le succès va être inouï, particulièrement aux Etats-Unis où il décroche 7 numéros uns consécutifs au Top des albums: son Greatest Hits de l’automne 1974 se vendra à 32 millions d’exemplaires, dont 17 en Amérique du Nord. C’est là qu’en bourrant les stades, John développe une personnalité scénique kitsch et outrageuse, über visuelle: quand on est au 265e rang du Dodger Stadium de L.A. en octobre 1975 -2 sold-out de 75 000 tickets-, on aperçoit mieux le chanteur-pianiste en pailleté argenté qu’en t-shirt/jeans. Enfin, peut-être.

3. Elton, c’est chic

Inutile de dire qu’entretemps, toutes ces chansons de valeur ont eu le temps d’être enterrées sous un déluge de pseudo glamour calamiteux: non seulement Elton a propagé un look tragiquement débile, des albums peu probants, mais s’est également enfermé dans un consumérisme faisant passer Michael Jackson pour l’Abbé Pierre. Un type capable de dépenser 30 millions de livres (40 millions d’euros) sur 2 ans à la fin des années 90 -dont 400 000 euros de fleurs en 18 mois- a autre chose qu’un problème de comptabilité. Elton était donc rangé aux oubliettes rétro jusqu’à la réception il y a un mois de ce nouvel album, Union. La première séduction est là, dans la sonorité rhythm’n’blues organique, lente ou boogie, noyautée d’angélismes gospel et dégraissée de toutes les horribles fioritures variétoches dont Elton pare ses disques depuis les années 80. Cette purge salvatrice est due au producteur T-Bone Burnett mais plus encore à Leon Russell qui cosigne le disque. Né en Oklahoma en 1942, Russell est devenu célèbre pour avoir mis sur pied en 1970 la tournée et le disque qui amèneront gloire (et puis dépression) à Joe Cocker, le projet Mad Dogs & Englishmen. D’une certaine façon, il refait le coup à un autre Anglais, 40 ans plus tard, en grattant jusqu’à l’os ses intentions musicales. De son émouvante voix de papier froissé, Russell tire Elton au c£ur de son territoire le plus familier: cette mélancolie britannique, jamais éteinte malgré des décennies de faux-semblants. Une paire de chansons en témoignent brillamment: There’s No Tomorrow, A Dream Come True et ce When Love Is Dying qui pourrait servir de testament sublimé à un musicien retrouvant, enfin, de sa grandeur. Comme une bonne nouvelle vient parfois accompagnée, Elton John donne le 1er décembre un concert à Forest, en duo avec son vieux comparse Ray Cooper, percussionniste fou qui caresse de 1000 manières les mélodies insubmersibles de Monsieur John. l

CD Union d’Elton John/Leon Russell chez Universal.

Elton John en concert le 1er décembre à Forest National, www.forestnational.be

Texte Philippe Cornet

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