AVEC ROMANZO CRIMINALE ET L’ODYSSÉE DE LA PREMIÈRE MAFIA ROMAINE, LE JUGE GIANCARLO DE CATALDO OFFRE À LA CAPITALE ITALIENNE SON PORTRAIT LE PLUS COMPLET. SANS DESCRIPTION AUCUNE!

« Je veux ce que vous voulez tous! Rome. » Ainsi parlait, en 1977, le Libanais. Le gamin, originaire du quartier de Tor di Nona,  » là où Rome est encore aux Romains« , n’était alors qu’un petit caïd à la tête d’une bande de petites frappes, que le lecteur ne connaîtra jamais que sous leurs surnoms de bandits: le Froid, le Noir, le Buffle, le Dandy, le Rat, le Sec… Ils deviendront pourtant, et c’est une histoire vraie, « la bande de la Magliana » qui fit main basse sur la Ville Eternelle pendant plus de 15 ans, lui offrant sa première véritable mafia. Une odyssée sanglante, qui trouve dans l’imaginaire et le point de vue de Giancarlo De Cataldo la meilleure des motivations: ils étaient  » tous excités par le fantasme de se prendre une bonne fois la vieille pute éternelle avec sa louve et ses jumeaux« .

La  » vieille pute éternelle« , on l’oublie souvent lorsque l’on n’est pas italien, s’était en effet longtemps refusée à la Pieuvre. Pour des raisons historiques, d’abord: la Cosa Nostra naquit il y a plus de 500 ans, lorsque 3 frères furent obligés de fuir l’Espagne pour avoir tué en duel le frère du Roi. Osso s’installa à la Favignana, en Sicile, et y fonda la Mafia. Mastosso partit à Naples pour y bâtir la Camorra. Carcagnosso, lui, mit en place la première « ‘ndrina » de Calabre. Mais à Rome, point de frères ni de Famille. Pour des raisons d’opportunité, ensuite, selon le juge romain Giancarlo De Cataldo, qui connaît bien son sujet:  » Cette ville, personne ne la prendra jamais. Quelqu’un disposé à trahir, par peur ou pour l’argent, on finit toujours par le trouver, à Rome. «  Et puis, ici,  » les vengeances ne durent pas. Ici, la tragédie a peu de place pour man£uvrer. Cette ville est celle de l’éternelle comédie ». On l’aura compris: ce Roman Criminel écrit en 2002, Grand îuvre de l’écrivain et du polar italien, parle autant de Rome que de sa plus célèbre bande de gangsters. Il fait même mieux que ça: De Cataldo en dresse ce qui reste sans doute son portrait contemporain le plus complet et abouti… sans jamais en offrir de véritables descriptions en près de 600 pages. Dans Romanzo Criminale, Rome n’est pas commentée ou décrite, elle est incarnée dans cette incroyable galerie de personnages, loin, très loin de La Dolce Vita.

L’envers de la carte postale

Rome, depuis 30 ans, c’est avant tout la rue.  » Un type qui a les bons contacts, un autre qui s’y entend à faire circuler le fric, un Napolitain, un nazi, d’autres nazis, des chefs mafieux, un policier corrompu, un journaliste au passé révolutionnaire, un médecin avide, un Toscan corrompu »… C’est ensuite, comme dit De Cataldo, « les Palais »: un commissaire, son juge de référence, des barbouzes, des avocats et même « Le Vieux »,  » un homme qui n’existe pas ». Il y a des femmes bien sûr, des prostituées essentiellement, des épouses de bandits, une détenue, une terroriste et  » une riche jeune fille paumée ». Enfin, il y a le ch£ur, tous les autres, qui forment ensemble le corps et les organes de Rome:  » psychiatres, juges, néofascistes, adeptes de jeux de hasard, acteurs, chanteurs, carabiniers, journalistes, membres des Brigades Rouges, curés »… Tous, menés de main de maître par l’auteur, vont faire et défaire l’Histoire romaine de ces dernières décennies: l’incroyable combat politique et terroriste entre brigadistes et fascistes, et son corollaire de  » connexions Services/fachos/pègre organisée« , l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro, l’attentat de Bologne, le terrorisme noir, la victoire de La Roma en 83, la loge P2… Une histoire qui n’appartient qu’à l’Italie et à sa capitale, avec son lot de constats effroyables et de prédictions étonnantes:  » Nous sommes en Italie. Dans la chère, vieille Italie. Chez nous, plus un homme est puissant et plus il est baiseur. Et plus il est baiseur, plus il plaît aux gens! »

Pour le reste, De Cataldo ne vous offrira aucune description longuette et balzacienne de sa ville. Sa Rome se résume à quelques traits de plumes ( » Aux fenêtres, les lueurs bleuâtres de mille téléviseurs. Une vitrine illuminée. Des bagnoles avec la stéréo à plein volume et des groupes de jeunes qui tripotent leurs portables. Des deux pièces avec vue sur le gazomètre« ), quelques quartiers -Testaccio, Tor di Nona, San Cosimato, EUR, Fiumicino-, marques (Mini, Alfetta, Tanfolio) et plats typiques: linguine, bucatini all’amatriciana, pettinicchio… De Cataldo se « contente » d’humecter son récit de quelques « romanités » bien choisies, expressions ou références, pour nous y plonger corps et âme. Le reste de Rome s’incarne dans le maelström de ses personnages, et le parcours crépusculaire de cette bande de gangsters que seule la Ville aux sept Collines était capable de produire.  » Vous allez vous dévorer entre vous comme des cochons. Vous allez vous tuer l’un après l’autre comme des chiens.  » Cette Rome-là ne se destine pas au tourisme ou à l’industrie de Cinnecittà (même si Michele Placido a adapté Romanzo Criminale au cinéma). Mais elle frappera au c£ur les amateurs de roman noir.

TEXTE OLIVIER VAN VAERENBERGH

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