Ichon: « Je pensais me retrouver dans le club des 27. Mais malgré mes efforts, je ne mourais pas »

Artiste esthète, Ichon ne joue plus, il est lui-même. © KEFFER
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Toujours un peu sur le fil, le rappeur de Montreuil trouve la rédemption sur un superbe premier album, Pour de vrai, entre chanson et vibration soul luxuriante. Rencontre.

Quand on retrouve Ichon, il farfouille entre les tringles d’une friperie bruxelloise. Ce jour-là, il porte un boxer en flanelle et une chemise beige seventies, complétés par un audacieux combiné veste grise à pochette/gilet sans manches peau de mouton. Sur n’importe qui d’autre, l’attirail aurait piqué aux yeux. Sur Ichon, l’association passe pour un summum d’élégance décalée. Appelez ça le style.

C’est sans doute ce qui définit le mieux l’itinéraire du Parisien, né Yann-Wilfried Bella Ola: un mélange d’élégance et d’âpreté, lover distingué au sourire chelou. Rap dans ses intentions, certes, mais avec un twist qui l’a empêché jusqu’ici de se voir coller les étiquettes habituelles, ni old school ni vraiment dans les dernières tendances tubesques. Après avoir coché les cases EP et mixtape, il propose aujourd’hui un premier album. Et c’est un nouveau pas de côté. Le jour de son trentième anniversaire, trois ans après son dernier projet, Ichon a sorti Pour de vrai. Tentant le grand écart entre Frank Ocean et Christophe, Anderson. Paak et Sébastien Tellier, il ose une musique plus luxuriante, avec piano sensible, lignes de basse lascives, boîte à rythmes vintage et solo de saxo. « J’ai désormais les deux mains dans la musique, s’enthousiasme-t-il. Auparavant, je recevais des tonnes de productions, je faisais le tri, et je posais dessus. Toujours un peu la même chose. Je tournais en rond. À un moment, c’est bon, j’en ai eu marre. J’ai appris le piano, découvert la note bleue et ses possibilités infinies. J’ai découvert tout un nouveau langage, de nouvelles libertés. À partir de là, j’ai accepté d’être musicien. »

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Cela n’a évidemment pas été aussi simple. Sur le morceau Presque deux qui ouvre l’album, Ichon avoue: « Je passe mon temps à dire que je vais changer. » De l’intention, il a bien fallu à un moment passer à l’action. Et laisser la vie rapide et ses mauvaises habitudes de côté. « J’ai dû modifier mon approche des choses, notamment ma manière compulsive de consommer: l’alcool, la drogue, l’amour, la nourriture aussi -j’en arrivais à vomir, à force de trop bouffer. » À l’époque, il frôle régulièrement les limites. Il n’est même plus certain de vouloir vivre vieux. « Je pensais me retrouver dans le club des 27. Mais malgré mes efforts, je ne mourais pas » (sourire). Alors, Ichon décide de prendre le maquis. Il s’isole, coupe les ponts. C’est un peu Marvin Gaye à Ostende en 1981, exilé en bord de mer du Nord pour tenter de remonter à la surface. « Je ne prenais plus rien, ni alcool ni drogue. Je ne mangeais plus de viande, je faisais le ramadan. Je ne postais plus rien sur les réseaux. Je suis même retourné vivre chez mes parents. Tout à coup, j’étais un samouraï dans ma chambre d’enfant. »

Ichon:

À un moment, il finit quand même par remettre la tête dehors. Il croise le producteur PH Trigano. « Il est arrivé en voulant faire des bangers. Je lui ai dit: « Enlève le beat, frérot, j’ai mal à la tête, je suis fatigué » (rires). Donne-moi juste un piano, et je m’envole. Je voulais de la musique, quelque chose de produit, qui ne soit pas éphémère. » Jusque-là, Ichon avait volontiers tenté le grand écart entre rap de la street et poses hype, Montreuil et Saint-Germain-des-Prés, frayant notamment avec le monde de la mode. Quitte à se voir étiqueté rappeur bobo. « Ça m’a toujours agacé! » Il tentera régulièrement de rectifier le tir, en sortant des titres plus énervés. « Mais même comme ça, cela n’allait pas. Du coup, aujourd’hui, je ne joue plus, je suis moi-même. »

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Midnight love

C’est tout le sens d’un album baptisé Pour de vrai. Dans Miroir, Ichon demande à son reflet: « Dis-moi qui je suis, dis-moi qui je fuis. » Il a désormais trouvé la réponse, prêt à foncer, peu importe le succès -« J’enc… les gens qui ne pensent qu’aux vues/Je suis dans une longue ride » (dans Pas de piano). La démarche n’exclut pas de continuer à cultiver un goût certain pour les visuels chiadés -voir le clip de 911. Ni de laisser court à un certain sens de la provoc -comme dans la vidéo du morceau Litanie. Dans celle-ci, il chante: « Ça m’a sauvé la vie, de prendre de la distance« , traduisant les paroles en langue des signes. Perché sur un tremplin, au bord d’une piscine, il arbore jupette et haut de bikini blancs. « J’ai écrit ce morceau alors que ça faisait plus d’un an que je faisais le tour des maisons de disque avec mon projet, sans résultat. J’en ai eu marre, je suis parti à Marseille, je me suis assis en face de l’eau. C’était la nuit, j’étais seul, il y avait la lune et le bruit des vagues qui se cassaient. J’avais juste envie d’être sourd et muet, je ne voulais plus leur parler, ni les entendre. » D’accord, mais pourquoi s’habiller en femme? « Ça, c’est de l’esthétisme. En vrai, je trouve ça beau. Et puis, au-delà de la provoc’, cela me permet de jouer avec les codes. »

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Le jeu androgyne d’Ichon ne passe pas inaperçu -a fortiori dans un monde du rap francophone où le floutage des genres n’est pas si courant que ça. Le principal intéressé n’en fait pas pour autant une posture politique ou un engagement. Pas davantage par exemple que sur le duo avec le pote Loveni, Noir ou blanc. « Choisis, le noir ou bien le blanc« , intime la paire. Sorti en pleine ébullition Black Lives Matter, le tube feel good de l’été cacherait-il d’autres intentions? « À la base, c’était complètement innocent. Bien sûr, on parle de nos couleurs de peau. Mais on rigole avec ça. Comme quand on sort en soirée ensemble, et qu’on dit à la fille: « Tu veux le Noir ou le Blanc », comme si elle pouvait choisir entre deux bonbons Haribo de couleurs différentes. (rires) Cela ne va pas plus loin. Moi, le matin, je ne me réveille pas en me disant: « Je suis Noir »… Bien sûr, il y a toujours des gens pour me le rappeler. Mais je m’en fous, cela n’a pas d’influence. »

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Pas de message donc, ou de prise de position? « Je ne sais pas… Je dirais que non. Ou s’il y en a une, elle tient plus à une envie d’ouvrir le jeu, de prôner la liberté. Ne jugez pas, ne me classez pas. Celui que vous avez devant vous n’est pas un rappeur, ni un mec, ni un Noir. » Il est juste Ichon. Et c’est déjà beaucoup.

Ichon, Pour de vrai, distribué par 911. ****

En concert le 28/10, au Botanique, Bruxelles. Ichon sera également l’invité de la prochaine Fifty Session, à l’AB, le 29/09.

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