AVANT L’HYSTÉRIE THRILLER, MICHAEL JACKSON SORTAIT UN PREMIER CHEF-D’oeUVRE, OFF THE WALL, FORMIDABLE DÉCLARATION D’INDÉPENDANCE DISCO, COMME LE DÉMONTRE SA RÉCENTE RÉÉDITION.

Ce n’est peut-être pas le « meilleur » ni celui de tous les records. Mais c’est souvent l’un de ceux que les fans préfèrent. Peut-être parce qu’Off the Wall est une exception dans la carrière de Michael Jackson. Ou plutôt un disque-charnière: sorti en 1979, l’album met un terme à l’enfant-star pour proclamer l’arrivée d’une nouvelle idole pop adulte.

Petite mise au point. Parce que son successeur, Thriller, a connu le succès que l’on sait, Off the Wall a souvent été rangé au second plan. Le disque n’en reste pas moins un vrai chef-d’oeuvre. Sa réédition vient le rappeler: album essentiel pour comprendre la trajectoire folle de Jackson, il l’est aussi pour saisir l’histoire de la pop de ces trois dernières décennies.

Cela n’était pourtant pas gagné. Au milieu des années 70, Michael Jackson se débat en effet toujours avec l’étiquette Motown. Comme souvent avec les enfants prodiges, le passage à l’âge adulte est compliqué à gérer. Les Jackson 5 ont été le premier teenage boys band de l’Amérique noire (et au-delà). Mais après? La fratrie prendrait en fait volontiers son destin en main, mais le carcan de l’usine à tubes Motown l’en empêche. Il faudra donc s’en arracher. En 1975, un contrat est signé avec CBS. Seule hic: l’appellation Jackson 5 reste la propriété du label de Berry Gordy. Le groupe, désormais sans Jermaine (marié à la fille de Gordy, il est resté chez Motown), se rebaptisera simplement The Jacksons.

Les albums The Jacksons et Goin’ Places sortent respectivement en 1976 et 1977. Enregistrés à Philadelphie, les deux disques ont bénéficié de l’expertise de la paire Kenneth Gamble & Leon Huff (des hits pour les O’Jays, Harold Melvin & The Blue Notes, Three Degrees…). Dans son coin, Michael prend note, observe, engrange. Pour le disque suivant, les Jackson prendront l’entièreté de la production à leur charge. Avec des tubes comme Blame It on the Boogie ou l’insubmersible Shake Your Body (Down to the Ground), Destiny sera un énorme succès commercial…

Michael en veut toutefois plus, et en finir définitivement avec l’image de chanteur bubblegum. Pour preuve, il y a notamment ce fameux manifeste rédigé par et pour lui-même, griffonné à l’arrière d’un itinéraire de tournée, en 1979: « No more Michael Jackson. Je veux proposer un tout nouveau personnage, un tout nouveau look. Les gens ne devront plus me voir comme le gamin qui chantait ABC ou I Want You Back. Je serai un tout nouvel acteur/chanteur/danseur qui choquera le monde. Je ne donnerai pas d’interviews. Je serai magique. Je serai un perfectionniste, un chercheur, un guide, un maître. » Et plus loin, encore: « J’étudierai et analyserai le monde de l’entertainment et le perfectionnerai, pour l’emmener plus loin que là où les plus grands se sont arrêtés. »

La magie du Studio 54

Voilà résumée toute l’ambition d’Off the Wall (et de la carrière qui suivra). L’album même sort au mois d’août 1979, quelques jours à peine avant le vingt-et-unième anniversaire de Jackson. Il constitue une véritable déclaration d’émancipation. Son introduction est l’une des plus célèbres de l’histoire de la pop: c’est celle de Don’t Stop ‘Til You Get Enough. Alors que la basse annonce déjà l’orgie disco qui va suivre, Jackson chuchote: « You know, I was… I was wondering, you know… », avant de lancer son fameux « Wouuuuh! ». Plus qu’une signature vocale, un véritable cri de libération!

Contre l’avis de sa maison de disques, Jackson a insisté pour que Quincy Jones produise le disque avec lui -ils se sont rencontrés sur le plateau de The Wiz, la version afro du Magicien d’Oz, filmée par Sydney Lumet: Jackson jouait le rôle de l’épouvantail, Jones était en charge de la musique. C’est lui qui amène Rob Temperton, plume anglaise connue pour les hits funk signés Heatwave (Boogie Nights). Pour Off the Wall, il pondra trois chansons: le morceau-titre, Burn This Disco Out, et Rock With You, hit au cool scintillant. Ailleurs, Girlfriend est une reprise de McCartney, tandis que I Can’t Help It, signé Stevie Wonder, donne l’occasion à Jackson de se rapprocher du jazz. Seule véritable ballade du disque, She’s Out of My Life était destinée à Sinatra: Jackson en fait une torch song -littéralement- larmoyante (on l’entend craquer en fin de morceau).

Tout cela est raconté dans le film de Spike Lee, Journey from Motown to Off the Wall, joint à la réédition. Linéaire, et faisant un peu trop facilement l’impasse sur certaines zones d’ombre (le rôle du père Jackson), le docu montre bien l’état d’esprit dans lequel a été conçu l’album. Notamment la joie et l’exaltation de cette nouvelle liberté artistique. Une scène l’illustre à la perfection. Jackson est interviewé au Studio 54. Logé à New York par sa soeur La Toya, le temps du tournage de The Wiz, le jeune Jackson va régulièrement se perdre dans ce temple du disco et du glamour décadent. Au micro de la journaliste, il paraît particulièrement détendu -peut-être comme il ne l’a jamais été face à une caméra (et comme il ne le sera plus jamais). Coupe afro géante et acné juvénile encore visible, il explique de sa voix fluette et extatique: « J’aime l’ambiance du Studio 54! C’est juste génial, franchement. Ici, je suis libre, je danse avec qui j’ai envie. You just go wild!« 

De cette expérience, Off the Wall tirera sa grammaire disco -il est l’une des pièces essentielles d’un genre qui, à ce moment-là, subit un premier retour de flamme hyperviolent. Mais au-delà du musical, Off the Wall sonne surtout comme un album hédoniste, léger, ivre des possibilités qui s’annoncent.

Aux Grammys de cette année-là, le disque ne sera récompensé que dans la catégorie R’n’B. La prochaine fois, promet Jackson, ce sera dans la catégorie reine de l’album de l’année -tout court, sans distinction de styles (ni de races). Thriller est pour bientôt. Et avec lui, le succès global, monstrueux, et toutes les dérives qui l’accompagnent. C’est aussi pour cela qu’Off the Wall reste peut-être le disque de Jackson le plus touchant: plus enfant-star, pas encore Wacko Jacko, la star semble jouir de l’instant présent, déjà perfectionniste, mais encore insouciant. Dansant encore et encore, ’til you get enough

MICHAEL JACKSON, OFF THE WALL, DISTRIBUÉ PAR SONY.

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TEXTE Laurent Hoebrechts

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