Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LE COLLECTIONNEUR CHARLES RIVA PROUVE QU’ON PEUT CERNER LE TRAVAIL D’UN ARTISTE EN UN NOMBRE RESTREINT D’oeUVRES. SHERRIE LEVINE, LA PREUVE PAR HUIT…

Sherrie Levine

CHARLES RIVA COLLECTION, 21, RUE DE LA CONCORDE, À 1050 BRUXELLES. JUSQU’AU 15 MARS.

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After Walker Evans. After Cézanne. After Seurat. Ou même Fontain, qui pourrait s’appeler After Duchamp. After. After. After. Un mot répété comme trois coups fatals tambourinés sur la porte du destin. Tout le malheur -et le meilleur?- de l’oeuvre de Sherrie Levine est dans cet « After » qui en dit long et résonne comme une désertion. Bien sûr, on aime à le traduire par « d’après », mais il est avant tout à entendre au sens temporel: « qui vient après Walker Evans », « qui vient après Cézanne et Seurat », « qui vient après Marcel Duchamp ». Il y a une défaite dans ce travail, celle de ne jamais pouvoir prétendre à la rupture. Sherrie Levine déconstruit, cite, postmodernise, intertextualise, pastiche et simule… sans jamais parvenir à l’orgasme. L’Américaine fait jaillir le mince fil du sens comme si rien ne s’était passé depuis les maîtres précités. Nulle surprise, c’est le fruit d’une époque qui, comme l’avait pointé Gilles Deleuze, s’ignore dans son indigence créatrice. Il suffit de revoir son Abécédaire, à la lettre C comme Culture: le philosophe français y explique à quel point, depuis les années 80, le socle culturel sur lequel nous évoluons crache son aridité à la face du monde. Il précise à Claire Parnet: « Ce n’est pas la pauvreté qui est gênante, c’est l’insolence ou l’impudence de ceux qui occupent les périodes pauvres. » De manière très significative, c’est en 1981 que Sherrie Levine donne à voir After Walker Evans à la Metro Pictures Gallery. Pour rappel, sa méthode consiste à exposer des images reproduites depuis un catalogue d’exposition de Walker Evans -datant des années 30, celles-ci sont alors tombées dans le domaine public. Où se cache l’authenticité? Qu’est-ce que la propriété intellectuelle? Autant de questions abordées. Symptomatique, la démarche de Levine sera elle-même transposée sur le Web, quelque 20 ans plus tard, par Michael Mandiberg sous le titre After Sherrie Levine. Un infini sillon creuse sa tombe, celui d’un méta-art.

Appropriation

Ce sillon est celui de l’appropriation. S’emparer de l’Histoire de l’art comme d’un vaste stock d’images où puiser allègrement et sans contraintes, telle est la démarche conceptuelle mise à jour par Sherrie Levine et d’autres. On parle également de « Pictures Generation » pour qualifier cette mouvance qui rassemble des signatures comme celles de Richard Prince, Cindy Sherman ou Louise Lawler. Qu’un collectionneur comme Charles Riva présente le travail de Levine en huit pièces significatives est une très bonne chose: on évite ainsi les détours inutiles d’une forge artistique conceptuelle qui aime à égarer le spectateur dans les méandres de ses rets. En huit pièces seulement, chacun se fera sa propre idée et décidera en âme et conscience de poursuivre ou non la route. L’idée de l’art vaut-elle vraiment pour art? Riva a retenu False God, le squelette de veau d’or, Silver Mirror, Pink Knot, After Cézanne, mais également Caribou Skull, Pink Skull et Antilope Skull -on le dira sans détour, les Skulls, énième variation sur la vanité en ce bas monde, on ne peut plus les voir, la faute sans doute à Damien Hirst. On retiendra plutôt Lega mask, proposition la plus intéressante à nos yeux, émise à partir de l’art tribal africain.

WWW.CHARLESRIVACOLLECTION.COM

MICHEL VERLINDEN

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