Samplé par Kanye West et Jay Z, réquisitionné par Amy Winehouse, Daptone Records incarne à lui tout seul le revival soul. Entre la sortie du nouveau Budos Band et un concert de Sharon Jones, petit tour à Brooklyn et récit d’une étonnante success story.

Le secret de Daptone? Nous portons tous, sans exception, des sous-vêtements féminins.  » Gabriel Roth et Neal Sugarman, les 2 fondateurs du label new-yorkais par lequel le revival soul est arrivé, sont plutôt du genre déconneurs. Daptone, c’est la maison de disques de Sharon Jones, du Budos Band, des Sugarman 3 et de Naomi Shelton. Puis aussi quelque part la moitié du deuxième Amy Winehouse. Rehab et 5 autres chansons de son Back to black ont été enregistrées avec ces soul revivalistes aux doigts d’or (tarif: 350 dollars par musicien et par chanson) dans leur studio de Bushwick. Le petit rez-de-chaussée d’une maison mitoyenne plantée dans l’un des plus pauvres quartiers de Brooklyn.

 » Je ne me doutais jamais que ce disque aurait le succès qu’il a fini par rencontrer (10 millions d’exemplaires vendus, ndlr) mais son producteur Mark Ronson le sentait. Il le savait même. Il nous avait prévenus que ce serait l’album de l’année en Angleterre « , se souvient Gabriel Roth, petit moustachu au look de star porno seventies. Ancienne gardienne de prison et convoyeur de fonds qui a entamé sa carrière à 40 ans (on ne fait rien comme tout le monde chez Daptone), Sharon Jones est le nom le plus ronflant, disons plutôt rutilant, du label. Le boss, toutefois, c’est lui. Roth écrit la plupart des chansons. Enregistre, mixe et produit les disques. Il joue même de la basse au sein des Dap-Kings. Le groupe maison. Celui qui accompagne sur scène et sur disque madame 100 000 volts. La mama black d’Augusta et le petit juif californien se sont rencontrés il y a une quinzaine d’années alors que Roth cherchait une choriste pour le vétéran Lee Fields. C’était à l’époque de Desco, son premier label, qui a fait faillite. Mec obstiné, jusqu’au-boutiste, cachotier (pendant longtemps, Sharon n’a jamais su que son frère était noir), Gabe, comme on l’appelle au 115 Troutman Street, a une aversion particulière pour toutes les pop songs, ou presque, enregistrées depuis 1974. Même l’une ou l’autre sur lesquelles il a pu travailler.  » Je n’ai jamais eu l’ambition de vendre des millions d’albums. De presser des tas d’artistes. De devenir un producteur en vue. Ou le patron d’un gros label, assure-t-il. Je ne me suis d’ailleurs jamais vraiment intéressé à comment les autres faisaient des disques. Parce que la plupart de ces disques, je ne les aime pas. ça a quelque chose d’ironique. Notre indépendance d’esprit, notre approche unique se sont mis à constituer une alternative pour des tas de gens qui ne veulent pas écouter la merde mainstream.  »

Souci du détail, quête de la perfection

Fondé en 2002, Daptone Records possède une petite vingtaine de références seulement dans son catalogue.  » Si nous sommes toujours en vie alors que la plupart des labels lâchent l’affaire, c’est que nous ne savons pas ce que nous faisons. Et qu’en même temps, nous savons pertinemment ce que nous voulons. Ne sortir que quelques albums par an et faire en sorte qu’ils soient aussi bons que possible. Sans s’enfermer dans le business du disque qui est de toute façon baisé bien profond. Les labels aujourd’hui s’épient. Calculent. Décortiquent des statistiques. Nous avançons de manière plus spontanée.  »

Chez Daptone, on enregistre la musique et les disques qu’on veut entendre. La plus grosse vente du label jusqu’ici, c’est le 100 days, 100 nights de Sharon Jones: 105 000 exemplaires écoulés aux Etats-Unis. Un petit 200 000 si on parle du monde entier.  » Même si nous faisons un coup à plusieurs millions de dollars, nous ne nous mettrons pas à sortir 10 disques par an « , insiste Neal Sugarman. Saxophoniste de Boston, membre des Dap-Kings, Neal bossait déjà avec Roth chez Desco. Des années qu’ils groovent sur les mêmes disques.  » Nous ne sommes pas dans la dynamique de la croissance et du réinvestissement. Nous sommes conscients que notre identité est liée à notre souci du détail et à notre quête de la perfection. Nous préférons vendre 1000 exemplaires d’un super disque que 10 000 d’un album merdique. D’ailleurs souvent, les grands albums ne coïncident pas avec les meilleures ventes.  »

Old school

Lancé avec beaucoup de sueur, 2000 dollars et quelques cartes de crédit – » c’était peut-être une manière naïve d’entrer dans le business « -, Daptone, c’est à la fois un son, un savoir-faire et une éthique. Les Américains mettent un point d’honneur à travailler avec de l’analogique. Rien que de l’analogique. Et ils n’hésitent pas à dépenser un dollar supplémentaire pour que leurs pochettes soient faites comme avant 67. Avec l’artwork non pas imprimé directement sur du carton mais sur des étiquettes adhésives.  » Nous voulons que le logo Daptone procure une excitation, un sentiment particulier. Comme un album original estampillé Stax, Atlantic ou Motown.  »

En attendant, lui, il est et restera une structure familiale.  » Tout le monde s’inquiète et s’implique. Celui ou celle qui gère la distribution à l’étage peut descendre écouter ce qu’on enregistre, donner son avis sur la ligne de guitare et le solo de trompette. Puis débattre passionnément pendant des heures sur la couleur que doit avoir l’artwork du nouveau Budos Band.  »

Avant que Ronson, le producteur d’Amy Winehouse, mette le grappin sur les New-Yorkais, Kanye West avait déjà samplé la voix de Sharon et un riff des Dap-Kings pour une chanson du rappeur Rhymefest. Daptone est de plus en plus sollicité. Et ce depuis quelques années déjà. Hand Shocklee, un vétéran de la scène hip hop, l’a enrôlé pour la B.O. d’ American Gangster . Tandis que Jay Z a samplé le Menahan Street Band pour son tube Roc Boys . LA chanson de 2007 selon le Rolling Stone.

 » Il y a plein d’artistes super avec qui je voudrais enregistrer mais je n’en ai pas le temps, termine Gabriel Roth. Nous pouvons parfois passer 6 mois sur un disque pour qu’il termine au placard. ccedil;a nous est arrivé souvent. Nous faisons entrer des types en studio, enregistrons. Retravaillons. Et nous sortons un 45 tours alors que nous partions pour un album. Nous ne voulons pas devenir un label avec quelques bons disques. Les gens apprécient ou pas mais nous devons rester fidèles à nous-mêmes. Intransigeants et irréprochables.  »

Texte Julien Broquet

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