LE TRIOMPHE DE THE ARTIST COURONNE UN FILM FRANÇAIS TRÈS ÉPATANT ET… TRÈS HOLLYWOODIEN! LE GRAND GAGNANT ÉTANT LE CINÉMA, CÉLÉBRÉ DANS SA MAGIE DES ORIGINES.

Ainsi donc le film dont personne ou presque ne voulait dans le cinéma français a poursuivi jusqu’aux Oscars l’incroyable aventure commencée à Cannes. Cinq statuettes, dont celle récompensant le meilleur film, le meilleur acteur et le meilleur réalisateur, pour une £uvre que le tout Paris du 7e art se rengorge de considérer sienne, alors même que très peu de producteurs, de distributeurs, d’exploitants(1) et de chaînes de télévision, jugeaient le projet viable aux temps pas si lointains où Michel Hazanavicius tentait de le « pitcher »… Si l’on veut bien, aussi, se rappeler qu’au scepticisme ambiant s’ajouta l’hésitation des sélectionneurs du Festival de Cannes, passés à 2 doigts de refuser The Artist comme ils avaient négligé l’année précédente le sublime Une séparation (Oscar du meilleur film étranger), le contexte global invite les pontes du cinéma « frenchie » à une retenue qu’ils n’auront bien évidemment pas.

Fiers, très fiers, peuvent être par contre, outre Hazanavicius et son acteur fétiche des films d’OSS 117, Jean Dujardin, le jeune et bouillant Thomas Langman, producteur n’ayant pas froid aux yeux et qui sut reconnaître le potentiel de The Artist, et aussi Harvey Weinstein, l’ex-producteur de Miramax et aujourd’hui distributeur, qui acheta les droits du film pour les Etats-Unis dès qu’il le vit à Cannes, ne se privant pas d’annoncer (pari désormais tenu) qu’il l’emmènerait jusqu’aux Oscars! Même écrit et réalisé par un cinéaste français, même joué en vedette par 2 comédiens français, et même financé en euros et non pas en dollars, il n’avait pas échappé à Harvey que The Artist a par ailleurs toutes les allures d’un film hollywoodien! Son tournage, son cast (hormis Jean Dujardin et Bérénice Béjo), le lieu choisi pour l’action, et une large majorité des collaborateurs techniques, sont américains. Et l’âge d’or du cinéma célébré de si belle façon par le film est celui de l’usine à rêves, pas celui du bricolage génial à la « french touch » auquel -par une inversion savoureuse- Martin Scorsese rend un merveilleux hommage dans Hugo

Paradoxes

Scorsese est évidemment le grand « battu » de la soirée des Oscars. Mais si l’on peut regretter qu’il n’ait pas reçu celui du meilleur réalisateur, 100 fois mérité d’ailleurs, aurait-il été logique de voir Michel Hazanavicius, sans l’audace et la détermination duquel The Artist n’aurait jamais vu le jour, être le seul participant majeur du triomphe de son film à ne pas être directement reconnu(2)? Un paradoxe, un vrai, comme le fait que l’unique récompense refusée à Jean Dujardin, dans son parcours de rêve menant du prix d’interprétation cannois à l’Oscar, en passant par une foule d’autres consécrations, ait été… le César du meilleur acteur. Omar Sy devait l’emporter, pour la reconnaissance du succès d’ Intouchables, pour la diversité, aussi (c’est le premier comédien black à être primé dans cette catégorie reine), sans parler d’une prestation assurément savoureuse. Mais cela fait tout de même un peu « bizarre », sans vouloir faire aucune ombre à l’Omar pour lequel tout le monde en pince dans le paysage audiovisuel français…

Un autre paradoxe peut être recherché dans le double couronnement de 2 films -l’un massif, l’autre par sa seule interprète- situés dans le passé, mais en période de crise économique, comme aujourd’hui. L’extraordinaire performance de Meryl Streep (nominée… 17 fois, primée pour la 3e) dans The Iron Lady s’inscrivant dans un film où celle des années 80 tient une part importante. Tandis que The Artist prend place au douloureux tournant des années 20 et 30, période de la Grande Dépression! En cherchant la petite bête, on peut même aller trouver quelque sens enfoui (et inconscient) dans le scénario du film d’Hazanavicius. Lequel évoque la fin, l’écroulement, d’un monde, et l’émergence en partie douloureuse d’un autre. Somme toute, transposé au plan économico-politique, ce qui semble se passer, irrévocablement, dans l’actualité européenne et internationale…

L’Oscar du meilleur film étranger ne pouvait pas échapper au chef-d’£uvre de l’Iranien Asghar Farhadi, Une séparation. Quels que puissent être les qualités (et les défauts) de « notre » Rundskop, le film de Michaël Roskam ne jouait pas dans la même division. Et être nominé, alors que tant Les Géants que Le Gamin au vélo sont de bien meilleurs films, était déjà très (trop) bien pour un spectacle valant surtout par la formidable interprétation de Matthias Schoenaerts. Mais l’Oscar de la meilleure musique, remporté par Ludovic Bource, amène indirectement une belle reconnaissance à 2 formations belges: le Brussels Philharmonic Orchestra et le Brussels Jazz Orchestra, qui en sont les interprètes et dont les musiciens doivent ressentir aujourd’hui une fierté légitime! l

(1) EN BELGIQUE, ET MALGRÉ LE SUCCÈS CANNOIS, IL FUT DIFFICILE AU DISTRIBUTEUR (CINÉART) DE FAIRE PARTAGER SON ENTHOUSIASME AUX EXPLOITANTS DE SALLE ET AU PUBLIC, SURTOUT WALLON…

(2) L’OSCAR DU MEILLEUR FILM ALLANT AU(X) PRODUCTEUR(S), PAS AU RÉALISATEUR.

TEXTE LOUIS DANVERS

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