PROF À L’UNIVERSITÉ LE JOUR, MUSICIENNE TECHNO LA NUIT, LA JEUNE AMÉRICAINE EST LA NOUVELLE COQUELUCHE DE L’ELECTRONICA SAVANTE.

Le débat fut à peu près aussi vif que la hype fut importante. Fin février, le collectif Future Brown sortait son premier album. Un disque de pop électronique avant-gardiste très attendu, vu la qualité des intervenants. Le buzz fit toutefois long feu. Certains critiques émettront en effet des réserves sur le côté politico-arty de la démarche, jugé fumeux. La suite se passera sur les réseaux sociaux, les membres de Future Brown accusant la presse de leur prêter des prétentions politiques qu’ils n’avaient pas…

La discussion est évidemment sans fin. « Le trimestre dernier, j’ai donné cours à l’Université de Stanford. Je suis revenue sur cette affaire avec mes étudiants. J’ai lourdement insisté pour qu’ils relisent toute la discussion sur Twitter. » Holly Herndon sait de quoi elle parle. Prof, mais aussi et surtout auteure d’une musique électronique aussi aventureuse qu’intrigante, elle est l’artiste intello par excellence, cliente idéale pour les magazines branchés. « Dès que vous proposez quelque chose, c’est logique que votre idée soit analysée. Vous ne pouvez pas empêcher les gens de tirer leurs propres conclusions. Cela étant dit, j’ai l’impression que mon disque est assez explicite sur ses intentions et sa philosophie… » De quoi démarrer une conversation sur de bonnes bases: son nouvel album, Platform, n’est en effet rien d’autre qu’une invitation à la discussion. Mais d’abord les présentations.

Née « dans les années 80 », Holly Herndon a grandi dans le Tennessee. Pas vraiment l’un des creusets de la techno. « Non, j’ai plutôt été élevée dans la musique country. Je chantais dans la chorale de l’Eglise, et je jouais de la guitare acoustique autour du feu de camp, ce genre de choses. Et puis, quand j’ai eu 17 ans, j’ai pu partir en Europe dans le cadre d’un échange linguistique. J’ai atterri à Berlin… » Là, la jeune Américaine découvre forcément les clubs, la techno, les expérimentations sonores électroniques… « J’aurais choisi la France, je serais peut-être en train de faire de la house », s’amuse-t-elle, le rire franc et chaleureux, loin des portraits de presse qui la montrent systématiquement sérieuse, hiératique.

Après finalement cinq ans passés en Allemagne, elle s’inscrira au Mills College, prestigieuse institution qui a vu passer notamment John Cage, Laurie Anderson ou Joanna Newsom, et où officient toujours John Bischoff, Maggi Payne… Herndon y étudie les musiques électroniques, puis enchaîne avec Stanford. Aujourd’hui, elle y donne cours, tout en sortant ses propres productions, et en donnant régulièrement des concerts, que ce soit en club ou au Musée Guggenheim, en festival (le Sonar en juin) ou à Bozar. Un exercice d’équilibrisme facile à réaliser? « Etre musicien, en général, n’est pas simple en 2015. Financièrement parlant en tout cas. Mais pour le reste, les gens ont toujours été très ouverts sur le fait que je suis impliquée dans des sphères très différentes. Cela aurait peut-être été différent il y a 30 ans… »

NSA is watching you

Après Movement (2012), Holly Herndon sortira Platform le 18 mai prochain. Le premier était un disque personnel, domestique. Le nouvel essai est au contraire tourné vers l’extérieur, ouvert aux collaborations et, surtout, au débat. Tiré de la pensée de la philosophe-designer Benedict Singleton, le titre du disque renvoie plus simplement encore vers l’idée d’une « plateforme de discussion », qui permettrait de régler les problèmes plus rapidement, en échangeant les idées. Ce que sont les réseaux sociaux? « Twitter est en effet un bon exemple. C’est ouvert à tous, l’interaction est directe. Vous devez parfois vous coltiner des personnes un peu lourdingues. Mais cela reste un lieu unique, qui change la manière de communiquer. » Par contre, Holly Herndon n’a aucun compte privé sur Facebook. « Facebook vous donne l’impression d’être entre amis. Mais ce n’est pas la réalité. Vous avez beau préciser ce que vous voulez rendre public, vous n’avez aucun contrôle sur vos données: Facebook l’a et fait de l’argent avec. »

L’intimité et la vie privée, sur le Net notamment, sont les principaux thèmes de Platform. Le morceau intitulé Home, par exemple, est une sorte de « lettre de rupture » avec toutes ces nouvelles technologies auxquelles on confie tant de choses, et qui n’ont pas résisté aux coups de sonde intrusifs de la NSA… Pour autant, Herndon balaie tout technopessimisme. « Ces dernières années, le cynisme a trop souvent été le langage dominant. Ce qui peut être thérapeutique mais ne résout pas grand-chose. J’ai voulu mettre ça de côté et tenter l’optimisme. Je sais bien qu’on ne résoudra pas tous les problèmes avec une application pour smartphone. Mais en tant qu’artiste, mon rôle n’est pas de me plaindre tout le temps, il est de faire des propositions, de rêver de nouvelles solutions. »

Engendrée par les machines, la musique de Holly Herndon ne reste ainsi jamais dans sa tour d’ivoire électronique. L’élément humain est toujours présent. La voix surtout. Que ce soit sur les polyphonies de Unequal ou l’étrange murmure de Lonely At The Top, qui singe les vidéos d’ASMR (autonomous sensory meridian response), qui pulullent sur YouTube. Dans ces petits clips, qui atteignent parfois des millions de vues, des quidams reproduisent des sons censés déclencher des sensations physiques intenses. « J’ai découvert personnellement que le bruit des faux ongles sur un écran d’iPhone me hérissait les poils! » La preuve pour la jeune femme qu’au-delà de l’anonyme du Net, du lien peut se créer. « Je ne pense pas qu’il faille prendre les nouvelles technologies comme un sujet séparé. Elles sont une extension de la société, de l’Humanité. Avec ses bons et ses mauvais côtés. »

PLATFORM, DISTRIBUÉ PAR 4AD. SORTIE LE 18/05. EN CONCERT À BRUXELLES, BOZAR NIGHT, LE 30/04.

TEXTE Laurent Hoebrechts

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