Hip hop à la page

Gill Scott-Heron

Né dans le Bronx à la fin des années 70, dans le sillage de DJ Kool Herc ou Granmaster Flash, le hip hop s’est rarement contenté de beats. Tout as des platines devait se mettre à la colle avec un MC capable d’agripper le public avec quelques rimes bien aiguisées pour voir ses morceaux s’embraser. À la fois poètes et performers, ceux qui ont portés de la voix dans ce genre musical ont de tout temps entretenu un rapport intime au langage, mais aussi à la revendication et à la mise en lumière d’oubliés de la société.

En plongeant dans le rétro, on pourrait adouber parmi les pionniers de la littérature hip-hop LeRoi Jones (aka Amiri Buraka), poète, critique musical et dramaturge afro-américain radical qui s’illustra notamment par son ouvrage Le Peuple du blues: la musique noire dans l’Amérique blanche (traduit en 1968). En 1964, sa voix scande Black Dada Nihilismus sur un album de free jazz du New York Art Quartet, et il s’agit bel et bien là de spoken word. Dans ce sillage qui passe au crible les problèmes de société, The Last Poets voient le jour à la suite du mouvement des droits civils. Gill Scott-Heron, poète jazz et soul marquera quant à lui de son empreinte des générations de rappeurs. Avec The Revolution Will Not Be Televised (1970), il sera considéré comme un des premiers MC. On lui doit également La Dernière Fête (ses mémoires) mais aussi Le Vautour, polar réaliste sur l’Amérique des sixties en pleine tension raciale. Au-delà de ces hérauts, la tentation est grande pour les représentants des genres dits urbains de mixer les styles et de se frotter à la langue de multiples façons. Saul Williams, dont le nom bruissait déjà aux soirées open-mic, devient une figure médiatisée de cet entre-deux entre musique et littérature suite au film Slam (1998).

Rachid Djaïdani
Rachid Djaïdani

En France, l’écriture hip hop s’enracine aussi dans des zones où la littérature dite classique ne pénétrait pas toujours. En 1999, quelques années après La Haine, Boumkoeur de Rachid Djaïdani dégaine ses uppercuts libres jusque chez Bernard Pivot. Quotidien des banlieues, langue foisonnante dans son oralité, tiraillements identitaires: autant de motifs que Faïza Guène ou Insa Sané (auteur-phare de la collection jeunes adultes Exprim’ chez Sabarcane) font également leurs. Métisse de fait et de pratiques, Gaël Faye s’est longtemps illustré dans le hip-hop avant de toucher ses lecteurs avec Petit Pays, autour de son expérience du génocide rwandais. Chez nous, s’il n’est pas encore passé au roman (on lance là un appel), le rappeur Veence Hanao a su traduire dans Chasse et pêche l’ennui ultra-contemporain des jeunes adultes avec une férocité qui n’est pas sans évoquer Alberto Moravia. Le collectif Congo Eza (Lisette Lombe, Joëlle Sambi, Badibanga Ndeka: deux poétesses féministes, un rappeur) met au jour les tensions de sa double identité belgo-congolaise et les dérives du colonialisme. Pour finir, on conseillera à ceux qui sont positivement secoués par l’âpreté des albums de Kate Tempest de se pencher sur le cas de la poétesse hardcore Moor Mother. Si Fetish Bones, le recueil de Camae Ayewa, n’a pas encore été traduit, la performeuse américaine a en revanche déjà fait une incandescente impression en avril 2017 au Bonnefooi à Bruxelles, lors du festival BRDCST.

(1) traduit aux éditions de l’Arche, qui vont continuer à traduire Kate Tempest pour les poèmes et les pièces.

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