WESTERN FÉMINISTE, THE HOMESMAN, DE TOMMY LEE JONES, OFFRE À L’ACTRICE AMÉRICAINE, DOUBLEMENT OSCARISÉE POUR BOYS DON’T CRY ET MILLION DOLLAR BABY, UN RÔLE À SA MESURE, INDÉPENDANTE

Hilary Swank est née au cinéma à l’âge de 25 ans, sous la double identité de Teena Brandon et Brandon Teena, figure tragique au coeur de Boys Don’t Cry, le premier long métrage de Kimberly Peirce. Soit, après des années de vache maigre (une décennie passée à courir de séries télé oubliées en rôles guère plus mémorables dans des films comme Buffy the Vampire Slayer ou autre The Next Karate Kid), un vrai rôle de faux garçon qui devait lui valoir la reconnaissance et son lot de distinctions, dont la plus convoitée d’entre toutes, l’Oscar de la meilleure actrice -on était alors en 2000. Rencontrée à l’époque, Swank savourait son bonheur: « J’avais lu beaucoup de scénarios intéressants avant, mais c’est un cercle vicieux: obtenir un bon rôle est extrêmement difficile avant d’avoir joué dans un grand film. Boys Don’t Cry a représenté une opportunité unique, parce qu’ils cherchaient une inconnue, une actrice dont le public puisse considérer comme évident qu’elle interprète un garçon. Ce rôle, c’est l’occasion que j’attendais depuis mes débuts… »

Près de quinze ans plus tard, Hilary Swank n’a rien perdu de sa lucidité. Ainsi lorsqu’il s’agit d’évaluer les aléas d’une carrière qui a, objectivement, connu plus de bas que de hauts -pour un Million Dollar Baby de Clint Eastwood, film d’exception qui devait lui valoir un nouvel Oscar, ou The Homesman aujourd’hui, combien de P.S. I Love You, The Reaping ou autre New Year’s Eve dispensables, constat qu’elle accepte d’ailleurs avec philosophie? « Les films, on en tourne un bon, puis un autre qui ne marche pas. Personne n’essaye de réaliser un mauvais film, il se trouve juste que, parfois, les choses ne fonctionnent pas. On apprécie d’autant mieux lorsqu’elles s’ajustent. A Hollywood, on n’a jamais que la valeur de son dernier film, et je veille à ne jamais perdre de vue les raisons qui m’ont poussée à embrasser ce métier: ce n’est ni pour les récompenses ni pour les louanges, mais simplement pour être une artiste. Je suis devenue actrice parce que j’aime les gens, et leur histoire. J’aime analyser un personnage, et en apprendre plus sur moi-même au cours du processus, tout en découvrant quelque chose d’insoupçonné au sujet de l’humanité. Comment aurais-je pu, sinon, me mettre dans la peau d’un transsexuel, et voir ce qu’il aurait à subir? Ou apprendre à boxer comme une professionnelle? Ou devenir une rapatrieuse? Ces opportunités sont une bénédiction. Et si l’on me dit parfois que je ne travaille guère, c’est parce que de telles histoires sont rares: j’y mets trop de coeur, d’âme et de moi-même pour jouer un rôle que je ne ressente pas profondément. »

A rebours des stéréotypes

Ainsi dans The Homesman, le deuxième long métrage de Tommy Lee Jones (lire son interview page 20), un film auquel la lie une connexion intime, pour ainsi dire. Hilary Swank y incarne Mary Bee Cuddy, une pionnière indépendante et solitaire, qui va se voir confier la mission délicate de rapatrier du Nebraska vers l’Iowa trois femmes que la dureté des conditions de (sur)vie sur la Frontière a fait sombrer dans la démence. Qu’elle laboure son champ, ou qu’elle guide ce curieux convoi, l’actrice semble, pour sa part, parfaitement dans son élément, ce qu’elle attribue pour partie à son ascendance: « Je suis née au Nebraska, et ma famille est originaire de l’Iowa. Mes ancêtres étaient tous fermiers, ils constituaient un amalgame des gens que l’on peut voir dans ce film. Je découle de leur histoire, j’ai cela dans le sang. » La Frontière, et son pouvoir de fascination sur les cinéastes, éveillent d’ailleurs chez elle des accents lyriques: « C’est un endroit magnifique, je ne me sens jamais aussi heureuse qu’au beau milieu de nulle part. On a tourné au Nouveau-Mexique, et du simple fait du paysage, je me sentais vivante et exubérante. » Submergée par la beauté d’un cadre dont elle souligne, à raison, qu’il évoque parfois les peintures de Edward Hopper. Et tant pis si les conditions de tournage furent particulièrement éprouvantes: « Nous avons tourné sous un vent incessant, pas moyen d’y échapper, et cela rend dingue, tout simplement… »

Hilary Swank est, toutefois, douée d’un sacré tempérament. Ses choix ne disent pas vraiment autre chose, qui la portent régulièrement vers des rôles à rebours des stéréotypes féminins, des personnages s’affirmant par-delà les préjugés –Boys Don’t Cry ou Million Dollar Baby, bien sûr; mais encore Iron Jawed Angels, où elle campait Alice Paul, une sufragette à la pointe du combat des femmes pour l’obtention du droit de vote, ou Amelia, pour Amelia Earhart, pionnière de l’aviation ayant précédé dans sa filmographie celle de The Homesman. « Il n’y a rien qui me mette plus en colère que de voir des femmes dépersonnalisées et « trivialisées », observe-t-elle. Voyez ce qu’ont à endurer tant de femmes dans le monde, aujourd’hui encore.J’ai été interpellée à la lecture du scénario par le fait que si cette histoire se déroule dans les années 1850, nous sommes encore confrontés, peu ou prou, aux mêmes questions. A quand l’égalité? » Et de stigmatiser encore le mode de pensée voulant qu’à Hollywood, par exemple, la distribution d’un film ne soit arrêtée, dans neuf cas sur dix, qu’une fois le premier rôle masculin engagé. « C’est un état de fait. Mais heureusement, il se trouvera toujours des gens comme Tommy Lee Jones ou Clint Eastwood pour ne pas rentrer dans le moule et refuser de raisonner de la sorte… » Sans esbroufe, et en toute indépendance…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

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