POUR SON CINQUIÈME LONG MÉTRAGE, MIA HANSEN-LOVE RETROUVE LA SPHÈRE INTIME, INTERROGEANT LA CONDITION FÉMININE À TRAVERS LE PORTRAIT D’UNE PHILOSOPHE CONFRONTÉE À UNE SÉPARATION TARDIVE. UN FILM LUMINEUX, HABITÉ PAR ISABELLE HUPPERT.

Film après film, le parcours de Mia Hansen-Love impose une évidente cohérence, la réalisatrice questionnant inlassablement le passage du temps, avec la gamme de sentiments et d’émotions qui l’accompagnent, entreprise conduite en puisant largement à la source biographique. Après avoir exploré l’aventure de la French Touch dans Eden, la voilà qui retrouve avec L’Avenir, son cinquième long métrage, la sphère intime au coeur de ses trois premiers films. Mieux même, la cinéaste y renoue avec un thème qui lui est manifestement cher, celui de la séparation -celle à laquelle se trouve confrontée Nathalie (Isabelle Huppert), une femme dont, épicentre d’une séisme personnel, le mariage au long cours et la vie basculent le jour où son mari (André Marcon) lui annonce partir vivre avec une autre.

« Quand j’ai commencé ce film, j’avais presque l’impression d’un retour en arrière, observe Mia Hansen-Love quand on la rencontre dans le cadre cossu d’un palace berlinois (elle repartira de la Berlinale avec le prix de la Mise en scène). Mes trois premiers films composaient une sorte de trilogie, après quoi Eden m’a ouvert un nouveau territoire, plus éloigné des questions familiales, et plus vaste en un sens. Mais si écrire à nouveau sur la séparation et le couple pouvait ressembler à une marche arrière, j’ai désormais un sentiment fort différent, comme s’il s’agissait, provisoirement en tout cas, du dernier chapitre d’une galerie de portraits. J’ai travaillé autour de ma famille, autour de mon premier producteur (Humbert Balsan, disparu en 2005, à qui était dédié son premier film, Tout est pardonné, NDLR) qui était une figure de père spirituel vraiment importante pour moi, j’ai travaillé sur mon propre chemin, et j’ai le sentiment d’en avoir fini de cette série de portraits. Avec le recul, je découvre qu’Eden, un film difficile par bien des aspects, m’a aussi appris beaucoup de choses, et m’a aidée à trouver la simplicité. Alors qu’au début, ces deux projets m’apparaissaient antithétiques, je me suis rendu compte en tournant L’Avenir combien l’expérience d’Eden m’avait été profitable, en termes de maturité mais aussi de maîtrise de la forme. »

Un dialogue constant

Les deux films sont, du reste, étroitement liés, ne serait-ce que par leur concomitance. L’Avenir, Mia Hansen-Love a, en effet, commencé à l’écrire alors qu’elle tentait de réunir le financement épineux d’Eden, mue par une sorte de besoin impérieux. Ce qui n’était au départ qu’un projet périphérique, un scénario dont elle n’était pas même sûre de venir à bout, hésitant face au côté sombre du sujet –« la condition de la femme et la séparation, à un âge où il n’est pas facile de la surmonter »– devant paradoxalement se révéler beaucoup plus aisé à écrire qu’elle ne l’avait imaginé. « Ce fut douloureux, mais facile techniquement, comme s’il y avait là quelque chose de naturel, qui faisait déjà partie de moi… »

Suivant en cela son habitude, la cinéaste a emprunté à son expérience personnelle pour nourrir le scénario, creusant un sillon biographique sinon autobiographique. D’où, par exemple, le choix de faire de Nathalie et Heinz, ce couple que la vie va séparer, des professeurs de philosophie, à l’image de ses propres parents, le film baignant par ailleurs dans un univers de la pensée qui lui est forcément familier. « Quand on demandait à Eric Rohmer pourquoi il décrivait toujours le même type d’environnement social, il répondait: « Je parle de ce que je connais. » Pour la même raison, je considère que si l’on peut bien sûr parler de choses que l’on ne connaît pas, il vaut mieux parler de celles que l’on maîtrise. Je ne l’ai pas fait par facilité, mais parce que le monde dans lequel ils évoluent, cet environnement philosophique, l’enseignement, la transmission ne constituent pas qu’un arrière-plan, ils sont essentiels à ce dont parle ce film. Il y est question du dialogue entre la vie et la vocation, la vie et la philosophie, et comment ces éléments s’assemblent, ou pas. Quand on enseigne la philosophie, celle-ci peut-elle vous aider face aux aléas de l’existence? Je n’ai pas arrêté de me poser la question au sujet de mes parents, et l’inspiration de L’Avenir est venue de ce que j’ai pu en observer dans mon enfance et mon adolescence, et puis, jeune adulte, lorsqu’ils se sont séparés. Et aussi de l’observation du dialogue constant entre leur vie et leur travail, et la façon dont il a influencé ma propre relation au cinéma. »

La liberté d’être heureuse

Pour autant, Mia Hansen-Love confesse avoir dû prendre une certaine distance avec son sujet avant que le projet ne se dessine vraiment; distance passant, pour le coup, par la présence d’Isabelle Huppert, l’actrice trouvant là un rôle à la mesure de son parcours d’exception. « J’ai commencé à penser à elle en cours d’écriture, et l’avoir voulue pour ce rôle a changé ma relation au sujet, qui en est devenu plus stimulant. Au début, je pensais à ma mère, à moi, à quelque chose de plus abstrait également. A travers elle, tout est devenu beaucoup plus concret et réel, jusqu’à donner un nouvel élan à cette histoire. Le fait de l’imaginer dans le rôle a fait de ce projet quelque chose de beaucoup plus positif à mes yeux. » Et d’estimer après-coup que la comédienne constituait même la seule option valable pour le film. « Etant moi-même la fille de deux professeurs de philosophie, j’avais une idée très précise de la personnalité du personnage, avec une sorte d’intelligence et d’autorité, mais aussi d’humour. Je ne pouvais imaginer quelqu’un qui soit plus proche, ou plus crédible. » Huppert sort là un grand numéro en effet, auquel la réalisatrice a veillé à ajouter une qualité peu exploitée: une surprenante douceur. « Elle a beaucoup joué récemment des personnages borderline, ou au bord de la folie, une dimension toujours présente chez elle, et qui induit une formidable intensité. Mais je voulais surtout rechercher son autre facette, qui ne ressort plus guère à l’écran, mais que l’on retrouve dans ses films les plus anciens, avec une sorte d’innocence, de fraîcheur, un côté plus relié à la vie de tous les jours et moins construit. Et peut-être plus proche de ce qu’elle est vraiment que ces personnages des dernières années. »

Une intuition payante, en tout état de cause, et le film balaie, en sa compagnie, un territoire passionnant, la solitude contrainte n’y apparaissant pas comme une fatalité, mais bien comme ouvrant sur un éventail de possibles. Si bien que ce qui s’annonçait comme le film le plus sombre de son auteure est sans doute, au contraire, celui qu’elle a réalisé de plus lumineux. « Faire un film sur une femme qui divorce, et doit faire face à toutes ces questions, sans que la clé ne se trouve dans une nouvelle relation m’a donné une rage de le tourner, apprécie Mia Hansen-Love. Même s’il y a de la souffrance, la solitude n’y est pas nécessairement perçue comme un drame. En écrivant le film, j’ai découvert qu’il parlait en fait de liberté. Avec le côté joyeux qu’il y a à pouvoir se dire, en semblables circonstances: « Me voilà libre! » Mes parents ont divorcé quand j’avais une vingtaine d’années, et je me suis posé beaucoup de questions. Je voyais des femmes quittées par leurs maris, avec ce que cela peut avoir d’effrayant. Mais en même temps, ma mère ne s’est jamais noyée, elle a fait mieux que survivre, elle est restée heureuse. Avec ce film, j’ai essayé de savoir comment elle avait réussi à le faire. » D’où encore le ton singulier de L’Avenir qui, s’il s’avance en sphères érudites à grand renfort de citations, au risque de verser dans le name dropping intempestif, ne s’en départit pas pour autant, une certaine ironie aidant, d’une tonalité en définitive presque décontractée, osant la gravité et la légèreté dans un même élan. « C’est venu du personnage, qui avait cet équilibre entre sa relation à la pensée et aux questions abstraites, et un côté extrêmement pragmatique. C’est d’ailleurs quelque chose que j’aime beaucoup chez ma mère également, qui est très proche des choses réelles et de la vraie vie. » Cette vie dont L’Avenir embrasse le cours incertain avec une belle voracité…

ON LIRA L’INTERVIEW D’ISABELLE HUPPERT DANS LE VIF/L’EXPRESS DE LA SEMAINE.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Berlin

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