Heureux hasards

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Loin des expositions guidées par les logiques consuméristes, De la Lenteur et de la Mesure s’avère Une petite perle de slow curating.

Derrière cette nouvelle proposition d’Emmanuel Lambion à la Maison Grégoire, un réjouissant et fécond changement d’aiguillage. L’une de ces déviations auxquelles la rigidité des opérateurs culturels ne nous a pas habitués. Preuve qu’un curateur peut-être autre chose qu’un contrôleur à sifflet embarqué à bord de projets rectilignes dont la réussite n’est sanctionnée que par la seule ponctualité vis-à-vis de l’air du temps. Le Deputy Director de l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles ne fait pas mystère qu’il pensait originellement consacrer l’événement au travail de Tom Lowe (1982, Newcastle) -on se souvient de ce peintre, passé par la Fondation CAB à la faveur d’une résidence bruxelloise, en ce que sa pratique repose sur un besoin obsessionnel d’adhésions au réel compliquées de rigoureuses correspondances métriques. Seulement voilà, une coïncidence est venue troubler l’intention première. Parallèlement au projet, le commissaire acquiert une oeuvre de Béatrice Balcou (1976, Tréguier), plasticienne dont le travail précieux, auquel on a consacré un article la semaine dernière, est exposé en ce moment au M Museum de Louvain ( lire Focus du 2 janvier). La pièce en question, comme souvent chez la Française, a été imaginée pour prendre soin, pour révéler la pratique d’un tiers. Il s’agit d’une splendide cimaise en hêtre symboliquement conçue à l’intention d’une toile de… Tom Lowe. On l’avouera, la coïncidence est énorme. Troublé, Emmanuel Lambion décide alors d’ouvrir les yeux, de ralentir et de désormais laisser la porte ouverte à tous les télescopages potentiels pouvant surgir dans le sillage de ce duo cohérent quoique fomenté par-delà sa conscience. Cet exercice concentré du regard, que l’intéressé nomme « slow curating », ne manque pas de faire jaillir de merveilleux hasards.

Écrin architectural

Ces heureuses coïncidences émaillent le cadre de la Maison Grégoire qui, rappelons-le, est l’une des deux dernières maisons habitées, avec celle du collectionneur Herman Daled, de l’architecte Henry Van de Velde. Cet écrin fait place au travaux délicats d’une dizaine d’artistes (Ella de Burca, Marianne Mispelaëre, Rokko Miyoshi, le collectif Self Luminous Society, Boris Thiébaut, Shankar Lestréhan, Anaïs Chabeur). Outre les écrans, radiateurs et autres chargeurs défiant la gravités de Lowe, autant de pièces qui miment le réel sous forme de peintures ou de sculptures à l’ADN mathématique, De la lenteur et de la mesure fait place à des oeuvres qui épousent le cadre de la prestigieuse demeure. La plus frappante d’entre elles, on la doit à Béatrice Balcou, qui signe une Pièce assistante directement agencée aux murs de la maison. Réalisé en pin et en cèdre, le dispositif est à lui seul un fascinant oxymore: un fragile étançon. Il concentre à lui seul ce qui ébranle dans la proposition du curateur, cette idée d’une  » prise de conscience métaphysique à l’égard des cycles de la vie, de la nature, de la civilisation, tel un mémento de notre condition à tous -êtres ou objets et artefacts- voués à terme, à la disparition, à l’oubli et à la dissolution ». À cet égard, on mentionnera également une vidéo absolument bouleversante, The Caretakers (2018), d’Anaïs Chabeur. Il y est question de gestes forts, non consacrés par le rite, qui assurent une pérennité, illusoire mais ô combien nécessaire, aux morts à travers le soin apporté à un caveau funéraire.

De la lenteur et de la mesure

Exposition collective, Maison Grégoire, 292 Dieweg, à 1180 Uccle. Jusqu’au 01/02 (le samedi entre 14 h et 18 h ou sur rendez-vous, www.bnprojects.be).

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