Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LE PHOTOGRAPHE ET PLASTICIEN BRÉSILIEN VIK MUNIZ S’EXPOSE À LA GALERIE DANIEL TEMPLON. SON TRAVAIL EST CELUI D’UN ARCIMBOLDO CONTEMPORAIN.

Album

VIK MUNIZ, 13A, RUE VEYDT, À 1050 BRUXELLES. JUSQU’AU 30/05.

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Avec l’installation de la Patinoire royale que l’on évoquait la semaine passée, il y a fort à parier que la rue Veydt va devenir un axe central sur la route de qui veut glaner l’essentiel des galeries d’art bruxelloises. Ce sera tout bénéfice pour le Français Daniel Templon dont le bel espace jouxte le nouveau et imposant lieu d’exposition. A la faveur d’une visite de l’actuel accrochage labyrinthique autour de la Figuration narrative, on ne saurait trop conseiller de faire le détour par cet Album que l’on doit à Vik Muniz. A la profusion des toiles signées Erro ou Télémaque répond la sobriété de six formats monumentaux signés par l’artiste originaire de Sao Paolo. Ceux-ci sont à proprement parler fascinants. Fascinant est également le parcours de Muniz qui est de ceux dont raffolent les médias. Né en 1961 dans une famille pauvre, il décroche à 14 ans une bourse pour participer à des cours du soir sur l’art. C’est là qu’il se forge une culture artistique en prise directe sur la peinture et la sculpture classique. Dix-neuf ans plus tard, alors que l’on ne lui a rien demandé, il rédige une charte de lisibilité pour les panneaux d’affichage publicitaire. Les principes qu’il met à jour intéressent directement une agence de pub qui l’engage comme consultant. En 1983, un événement romanesque va lui permettre de prendre le large vers les Etats-Unis où il rêve de s’installer. Alors qu’il assiste à un règlement de comptes dans la rue, il reçoit une balle dans la jambe. L’homme qui a tiré achète son silence. Muniz s’envole pour Chicago, puis New York où il travaille chez un encadreur. Ce job alimentaire lui permet de mettre un pied dans le milieu de l’art américain.

Passé recomposé

« Je voudrais que vous vous émerveilliez non seulement de ce que vous lisez mais du miracle que ce soit lisible« , écrivait Vladimir Nabokov. Telle est exactement l’évidence que rappelle le travail de Muniz. Depuis ses débuts en création, il n’a cessé de rendre la matière lisible, picturale, à la façon d’un Giuseppe Arcimboldo d’un genre nouveau. Tout fait eau à son moulin esthétique: un vulgaire plat de pâtes à la sauce tomate; du sucre blanc au moyen duquel il façonne les portraits d’enfants noirs suggérant par-là l’esclavagisme lié à l’exploitation de la canne à sucre; du caviar avec lequel il réalise le visage de Vladimir Maïakovski d’après une oeuvre de Rodtchenko… Mais d’autres matières premières servent également son travail: poussière, mégots, détritus, feuillage, fleurs, fil de fer, confettis, lambeaux de magazines, morceaux de photos…

Pour la série Album, Muniz s’est justement servi de ces lambeaux de magazine, morceaux de journaux et autres fragments d’images. Il s’en sert pour se reconstruire une enfance dont il ne lui reste plus que neuf photos grâce à une tante qui était la seule à posséder un appareil dans la famille. A partir d’un fond imagé qui ne lui appartient pas, le Brésilien reconstitue un univers qui réussit l’incroyable pari de réconcilier particulier et universel. Un univers devant lequel il est impossible de ne pas vibrer. Car nous sommes tous orphelins d’un passé qui manque, nous qui ne « connaissons jamais ce qui commence à son début » comme l’écrit Pascal Quignard. Les grands assemblages de Vik Muniz -qui ne sont pas des originaux mais des scans à 45° pour que l’illusion soit parfaite- sont nos frères. Comme nous, ils sont faits de ce qui demeure de ceux qui les ont précédés.

WWW.DANIELTEMPLON.COM

MICHEL VERLINDEN

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