Hawley motors

Richard Hawley est un phare. Et pas que dans la grisaille.

Après cinq BO et une comédie musicale sur Sheffield, Richard Hawley revient avec Further, un album solo à l’optimisme revendiqué.

C’est son huitième album et le premier dont le titre, Further, ne fait pas référence à sa chère ville de Sheffield. Richard Hawley n’est pas tombé sur la tête. Pas plus qu’il n’est devenu amnésique ou n’a pris en grippe l’ancienne cité sidérurgique où il a passé toute son existence. L’ancien membre de Pulp vient d’ailleurs de participer à la création d’une comédie musicale qui la raconte, Standing at the Sky’s Edge du nom de l’un de ses albums. « C’est un producteur londonien qui m’a approché. J’étais assez inquiet. Suspicieux. Et pour être honnête, j’ai même ri, me disant que c’était une idée complètement stupide. Le Magicien d’Oz, The Sound of Music… Je n’aime pas les comédies musicales. En plus, j’ai trois enfants et comme tous les parents, j’ai été torturé avec des Disney.Le mec a commencé par me résumer assez sommairement ce qu’il voulait. » Soit raconter l’histoire de la Grande-Bretagne d’après guerre à travers celle d’un bloc d’appartements de Sheffield. Le Park Hill Estate.

Lors de leur construction au milieu des années 50, ces bâtiments avaient été perçus comme une fantastique solution aux problèmes de logement que connaissait le pays après le conflit armé mondial. Des rues dans le ciel. De l’architecture brutaliste. Un projet inspiré par Le Corbusier… « Certains adorent. D’autres détestent. Au départ, j’exécrais. Parce que je connaissais des gens qui y avaient vécu et l’existence horrible qui avait été la leur. L’histoire de ces lieux est optimiste et pleine d’espoir jusqu’aux années 80, quand a commencé le déclin sous Margaret Thatcher. Là, c’est devenu terriblement sombre. Les autorités ont laissé ces gens complètement livrés à eux-mêmes. L’industrie s’est effondrée. Et on les a abandonnés. Violence, graves problèmes de drogues… C’était un endroit terrifiant où aller se promener. Plus récemment, il a été racheté par une boîte privée qui a redéveloppé le building en appartements chics et très chers. C’en est devenu offensant pour pas mal d’habitants, à commencer par ceux qui y ont grandi. »

Si le texte du spectacle a été écrit par Chris Bush, Hawley ne s’est pas contenté d’en gérer la musique, il a aussi cherché des histoires drôles et des anecdotes pour en alléger un petit peu le propos. « Des trucs que j’avais entendus au pub ou à l’arrêt de bus. Vingt-six mille tickets ont été vendus. Certains se sont retrouvés sur eBay à 300 livres. T’imagines? C’est dingue! Pour préparer le spectacle, on a rencontré beaucoup d’anciens résidents. Au final, Chris a choisi trois époques: 1960, 1982 et 2018. Elle a fait ça de manière très intelligente. »

À la fois drôle, triste et plein d’espoir, Standing at the Sky’s Edge, qui pourrait tourner en Europe continentale, n’a pas seulement reçu l’accueil dithyrambique de la presse anglo-saxonne, il a aussi bouleversé ses spectateurs. Un vieil homme, raciste, de 82 ans a expliqué à Hawley avoir repensé sa malsaine vision du monde. « Ça m’a vraiment retourné. Que quelqu’un ait passé toute son existence rongé par ces opinions malveillantes et ait pu à cet âge changer d’avis. Il m’a aussi dit qu’il pensait désormais avoir complètement gâché sa vie. C’était très triste mais une espèce d’auto illumination quelque part. Tu ne penses pas qu’un truc comme ça puisse arriver, a fortiori avec une comédie musicale. Je sais aussi que beaucoup de gens ayant voté pour le Brexit ont revu leur jugement. Ça a stimulé et nourri pas mal de débats. »

Little treasures

Ces dernières années, Hawley a multiplié les musiques de film, signant celle d’une comédie dramatique avec Maxine Peake, Funny Cow, ou composant avec Jarvis Cocker celle d’un téléfilm. « Enregistrer un disque est pour moi une expérience cinématographique. J’ai des petits films, des espèces de courts-métrages dans la tête. Mais pour les BO, ils ne déambulent pas dans ton crâne. Ils sont en face de toi. C’est une différence assez fondamentale. J’y ai pris beaucoup de plaisir. Ça a accaparé deux ans de ma vie et rechargé mes batteries. Ça a peut-être même purgé toutes les choses sombres qui se promenaient en moi. »

Further n’est pas un disque joyeux. Une collection de chansons pour faire la farandole ou se trémousser sur le dancefloor. C’est par contre un album positif et optimiste. Frais, plutôt enlevé. « Je me force. Sinon, il aurait été déprimant et misérable. Ce sera peut-être pour le prochain. Ma femme est infirmière en psychiatrie. Et elle me dit que les gens qui sont tout le temps heureux sont des fous. Les gens qui sont tout le temps tristes aussi d’ailleurs. Nous sommes des créatures complexes qui nourrissent des milliers d’émotions. Je décèle des raisons de me réjouir dans la gentillesse. Les petits gestes du quotidien sont nombreux. Tu vois aussi des gens être des trous du cul. Mais bon, soit tu fais partie du problème, soit tu appartiens à la solution. »

Gros collectionneur de 45 tours, Hawley profite des pauses cigarettes, entre deux interviews, pour allumer son téléphone portable et se promener sur eBay. « Aujourd’hui, j’ai déjà trouvé Sometimes Good Guys Don’t Wear White des Standells et Little Olive des Electric Prunes. Je n’achète pas de nouveaux trucs par contre. Je les entends via mes enfants maintenant. Ils écoutent un tas de trucs, comme le rappeur Dave qui est vraiment brillant. » Ce n’est pas à ses mioches mais à son paternel décédé en 2007 que My Little Treasures est un clin d’oeil. « Un jour, je suis allé boire des coups avec ses anciens bassiste et batteur. L’un d’entre eux a ouvert son portefeuille et m’a montré une photo de lui et de mon père quand ils étaient gamins dans les années 50. Ça m’a profondément touché. Ce n’était pas une expérience sombre. C’était quelque chose de beau. Ce que je cherchais en les voyant? Rien de déprimant. Juste à boire des bières, à jouer aux fléchettes et à se raconter des blagues. » Petit trésor et plaisir en somme (tel son disque) d’une vie comme toutes les autres cabossées.

Further, distribué par BMG. Lire la critique page 27.

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