Critique

Watchmen: haut les masques!

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Nicolas Bogaerts Journaliste

L’adaptation par Damon Lindelof (Lost, The Leftovers) du comics culte d’Alan Moore et Dave Gibbons ne garde que des ancrages ténus (mais essentiels) avec les pages éditées entre 1986 et 1987 chez DC et leur version ampoulée signée Zack Snyder au cinéma (2009).

Le long des lignes de fractures et des anxiétés contemporaines, sur lesquelles des héros satirisés jouent aux funambules, Lindelof applique ses marottes (dystopie, mondes parallèles, parabole politique) et propose une fiction stylisée, rythmée (une bande-son alternant rap, soul et une BO grouillante signée Trent Reznor/Atticus Ross) et d’une densité extraordinaire. L’histoire se situe de part et d’autre de l’époque et des intrigues dessinées par Moore, dont il ne reste que quelques personnages (surprise!). La ville de Tulsa, dans l’Oklahoma, est le théâtre, en 1921, d’une tuerie raciste de grande ampleur, appuyée par les autorités locales. Près d’un siècle plus tard, en 2018, l’Amérique est dirigée par le même président depuis 1992, un certain Robert Redford (sic), qui a succédé à Richard Nixon. La jonction avec la fin du comics de Moore et Gibbons se situe dans ce continuum politique, qui voit le pays menacé par la sédition de suprématistes blancs relégués dans les marges des villes. Leur redoutable bras armé, la Septième Cavalerie, s’en prend à des policiers, forcés de masquer leur visage et leur identité. Ces derniers sont appuyés par les héros Sister Night (Regina King) et Looking Glass (Tim Blake Nelson), membres d’une task force dirigée par le chef Crawford (Don Johnson). Tous sont victimes d’une attaque coordonnée de ces « Cavaliers » affublés d’un masque de Rorschach, en hommage au héros des pages originales, disparu avec ses révélations sur la grande manipulation ourdie par le héros moraliste fascisant Adrian Veidt (Jeremy Irons).

Lindelof noue alors un complot nouveau et tortueux, d’où sort une réflexion douloureuse, gore, sur le monopole de la violence et de la répression, symbolisée par la guerre des masques. Cette série complexe, traversée de pop culture et d’histoires parallèles, qui distribue les allusions au comics et aux événements à venir de la saison, exige un visionnage attentif et n’a rien d’un divertissement léger. Watchmen parle de notre monde où institutions, culture, économie et politique dessinent la manière dont se (dé)structurent l’information, le savoir, la pensée, l’éthique, un monde qui a fini par se résigner aux termes de son ultra-violence, de ses mythologies épuisées. Une société qui, effrayée par le visage de ses radicalités, a accepté la grisaille d’un storytelling du « ni…ni… », abandonnant définitivement l’idée de résoudre l’équation du Bien et du Mal aux mains des forces de la destruction, de la haine et du cynisme.

Série créée par Damon Lindelof. Avec Regina King, Don Johnson, Jeremy Irons. ****

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