Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

TROIS ANS APRÈS AVOIR ALLUMÉ LA MÈCHE, AZEALIA BANKS ÉCHAPPE DE JUSTESSE AU STATUT D’HAS-NEVER-BEEN AVEC UN PREMIER ALBUM JOYEUSEMENT FOUTRAQUE.

Azealia Banks

« Broke With Expensive Taste »

DISTRIBUTION PROSPECT PARK.

7

Peut-on s’évanouir et disparaître des écrans radars avant même d’avoir jamais vraiment été? Cela fait trois ans maintenant qu’Azealia Banks a fait son apparition, pétaradante, sur la scène pop. C’était avec le titre 212, petite bombinette électro-rap salace et assez irrésistible (qui, pour rappel, pompait le Float My Boat des Belges de Lazy Jay). C’était frais, culotté, plein de gouaille, à coup sûr l’un des singles de 2011. Depuis, la donzelle a toutefois semblé incapable de réellement transformer l’essai. La mèche de la hype allumée, Azealia Banks a bien essayé de l’entretenir. Elle a ainsi enchaîné les apparitions -souvent vaines- en festival et les couvertures de mode, tout en reportant régulièrement la date de sortie de son premier album. Les curieux ont pu certes patienter avec un EP et une mixtape, mais sans que cela ne suffise vraiment à dissiper les doutes. Surtout que Banks a l’art de tendre le bâton pour se faire battre. Grande gueule, elle se fâche à peu près avec tout le monde via Twitter, et se retrouve bientôt larguée par la major qui l’avait signée aux plus beaux jours du buzz. Avant même d’avoir publié un premier album, la jeune femme semblait avoir déjà grillé toutes ses cartouches…

Comment alors encore réussir à attirer l’attention quand enfin sort le disque en question? Comment susciter l’envie et surprendre quand on a passé son temps à s’agiter dans le vide? Par exemple en jouant le contrepied: après avoir beaucoup gesticulé, Azealia Banks s’est contentée d’un tweet pour annoncer Broke With Expensive Taste, la veille de sa sortie officielle. On y retrouve son fameux 212 (le code postal de son quartier d’Harlem). Par contre a été zappée sa collaboration avec Pharrell Williams (ATM Jam)… Le disque est gourmand et s’étend sur une bonne heure. Il réussit surtout un exploit: étonner. Gimme a Chance, demande-t-elle par exemple, sur fond de cuivres clinquants et de basse à la ESG, boostant le tout à coups de scratch comme si on était encore en 1983. A la fin du morceau, Banks se met même à chanter en espagnol de manière tout à fait crédible. Le titre est à l’image de New York, sa ville, et de l’album, qui part dans tous les sens: il y a du rap, de la bass music, des bouts de trap (Heavy Metal And Reflective) de UK garage (Desperado, produit par MJ Cole), des saillies house (Soda, Miss Amor)… L’éclectisme a bien ses limites: produit/trollé par ce grand cintré d’Ariel Pink, Nude Beach A-Go-Go est aussi gratuit que complètement hors-propos. N’empêche: en tirant un peu dans tous les sens, Banks épate, quitte à parfois louper la cible.

On se rappelle qu’à ses débuts, Banks a d’abord été repérée par XL Recordings, label qui s’est fait un devoir de concilier tenue indé et réussite populaire (de The xx à Vampire Weekend). Il est facile d’imaginer ce qu’aurait pu être l’album si elle était restée à bord de l’enseigne anglaise: plus « cadré », davantage raccord à un certain bon goût. Au lieu de ça, Broke With Expensive Taste déborde et bave sur les côtés, n’en faisant au final qu’à sa tête. Ce qui finit de le rendre attachant, à défaut d’être parfait.

LAURENT HOEBRECHTS

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