SUR ARRIÈRE-PLAN D’HYPOCRISIE SOCIALE ET D’HOMOSEXUALITÉ REFOULÉE, OLIVER HERMANUS DÉPEINT UNE PASSION BRÛLANTE DANS L’AFRIQUE DU SUD D’AUJOURD’HUI. UN FILM À L’ÂPRE BEAUTY…

A bientôt 30 ans (en janvier prochain), Oliver Hermanus est l’une des étoiles montantes du cinéma sud-africain. Son premier long métrage, Shirley Adams, le combat d’une mère dans un ghetto du Cap, la ville natale du réalisateur, lui avait valu une brassée de prix, dont celui du meilleur film sud-africain, en 2009. Quant à Beauty ( Skoonheid), bouclé deux ans plus tard, il a eu les honneurs du festival de Cannes, dans la section Un Certain Regard. S’il y a attiré l’attention, ce n’est pas seulement parce qu’il s’agit du premier film en afrikaans jamais présenté en sélection. Hermanus y dépeint une passion brûlante, celle qui dévore François, un Afrikaner d’âge mûr, lorsqu’il rencontre un jeune homme d’une insolente beauté, Christian, le fils d’un ami perdu de vue. Et le film d’embrasser, bille en tête, les déflagrations subséquentes, non sans dresser un portrait sans fard d’un pan de la société sud-africaine, entre hypocrisie sociale, homosexualité refoulée et racisme larvé.

« Le film est né de la conjonction de deux éléments, raconte le réalisateur, alors qu’on le rencontre dans le cadre du Festival de Gand. Une annonce pour un club d’hommes répondant à des règles étranges, et la relecture de Mort à Venise de Thomas Mann. Skoonheid parle de la beauté, et de ses aspects dangereux, en réaction àMort à Venise , en quelque sorte. Quant à la dimension afrikaner, avec le côté refoulé, elle découle de la petite annonce. » A quoi l’on ajoutera ce qu’il appelle « une perversion douce: en Afrique du Sud, la caméra est généralement braquée sur la communauté noire la plus pauvre. On n’a jamais vu un métis, ou une personne issue de cette communauté explorer la classe moyenne blanche. » Dont acte.

Le personnage de François, Hermanus y voit un pur produit de la société sud-africaine d’avant l’abolition de l’apartheid. « Il présente tous les signes extérieurs de la classe moyenne blanche sud-africaine qui vit une relation frileuse avec le pays. François est par ailleurs le produit d’une époque révolue, où l’homosexualité n’était pas légale. Il s’est construit toute une série de protections qui ne sont plus nécessaires aujourd’hui. » Et d’épingler le terreau commun au racisme et à l’homophobie, toutes communautés confondues: « Les préjugés. La peur de l’autre et de l’inconnu », avec leurs déclinaisons variables, d’ailleurs, à l’échelle de l’Afrique du Sud.

Les changements traversés par son pays, Hermanus les a vécus aux premières loges. « J’étais encore à l’école primaire lorsque le système politique a changé. Le plus grand défi pour le pays réside dans l’intégration des paramètres nouveaux qui en ont découlé, tant au plan racial qu’économique. Pour des gens comme moi, c’est très excitant, il en découle une énergie nouvelle. Mais le fossé générationnel est bel et bien présent. » Fossé que l’on retrouve d’ailleurs dans l’accueil réservé à son film: « Les Sud-Africains blancs de l’ancienne génération l’ont trouvé déplaisant, mais la jeune génération a apprécié son honnêteté. » Et pour cause. Pour être radical, Beauty n’en trouve pas moins les accents d’une stupéfiante vérité. l

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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