Guerre d’Espagne

© IVAN GIMÉNEZ TUSQUETS

Fernando Aramburu explore avec profondeur les stigmates laissés par l’ETA sur deux familles, jadis soudées, que la lutte a rendues irréconciliables.

22 mars 2006: à la télévision, l’organisation séparatiste basque ETA annonce un cessez-le-feu. Mais pour Bittori, l’heure n’est pas à la réjouissance: cette nouvelle ne lui rendra pas El Txato, son mari tué au coeur de leur village près de San Sebastián. Cette déclaration lui donne bien davantage l’envie d’enfin régler ses comptes avec tous ces voisins qui leur battirent froid dès l’apparition des graffitis de menace contre son époux, un entrepreneur prospère considéré mauvais payeur à l’effort de révolution. Tous ces lâches qui furent soulagés quand elle s’éloigna après le décès.

C’est sur ce double mouvement antagoniste (une trêve inespérée et de l’huile à projeter sur les braises à peine tièdes) que le romancier Fernando Aramburu commence à étendre sa dense mappemonde de personnages. Transpercés au quotidien par un climat de tension, tous tentent de survivre et d’oublier les ravages de la hache et du serpent (emblème de l’ETA, la double voie de la lutte jusqu’au-boutiste et de la sagesse). Auprès de Bittori, ses deux grands enfants  » devenus satellites d’un homme assassiné » ont du mal à s’enraciner dans la vie. Nerea, en prise avec un mariage vacillant, songe à entamer un processus de réparation avec ceux qui l’ont privée de père. Xabier, médecin célibataire, s’enferme dans le travail et de stériles querelles sur des forums.

Puzzle de 125 pièces

Le grand discernement de l’auteur est de nous montrer, par fragments entrelacés, qu’en face, chez cette autre famille jadis si appréciée de celle d’El Txato, la situation n’est guère plus apaisée. Joxe Mari, l’aîné, est en prison pour ses actions violentes menées au nom de la lutte séparatiste, dont son implication dans l’assassinat de son voisin. Arantxa, la plus compatissante, a été victime d’un accident cérébral et végète dans un fauteuil, privée de parole mais pas d’esprit. Gorka, l’intellectuel introverti, tente de mettre à distance toute violence et est soulagé lorsque son frère est mis hors d’état de nuire. Miren, la matriarche au coeur sec,  » lance des slogans comme d’autres des pétards. […] Par-dessus tout, elle défend son fils« . Joxian, l’ aita apathique, est encore plus mutique depuis le sanglant évènement qui lui a coûté un meilleur ami et a rendu sa progéniture meurtrière. Mais si Joxe Mari a pris fait et cause pour l’ETA, était-ce par patriotisme ou par suivisme?

Guerre d'Espagne

Patria, bien davantage qu’un Caïn contre Abel au Pays basque, est une entreprise fine de reconstruction. Un dense et brillant puzzle cathartique fait de 125 chapitres imbriqués non pas par une temporalité suivie mais fluctuant d’une époque à l’autre, au gré des trépidations de ses protagonistes, tantôt victimes, tantôt exécuteurs. Comme une preuve de plus que lorsque la politique gangrène à ce point toute une communauté, elle engendre bien peu de vrais monstres ou de héros irréprochables mais quantité d’incarcérés symboliques, faisant germer en chacun d’eux autant de zones grises, laissées en friche d’un peu d’espoir.

Patria

De Fernando Aramburu, éditions Actes Sud, traduit de l’espagnol par Claude Bleton, 624 pages.

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