MÊLANT LE SON FUNK À L’AGRESSIVITÉ PUNK, GANG OF FOUR FUT, À LA FIN DES ANNÉES 70, L’UN DES GROUPES LES PLUS NOVATEURS ET PROPHÉTIQUES DU ROCK BRITANNIQUE. LES ANGLAIS SORTENT LEUR PREMIER ALBUM EN 16 ANS.

REM, les Red Hot Chili Peppers, Nirvana, Rage against the machine, Franz Ferdinand… On pourrait presque passer un Focus à énumérer les artistes influencés ces 30 dernières piges par les Anglais de Gang of Four. Peu d’artistes ont marqué aussi durablement l’histoire de la musique que les post punks de Leeds. Alors que sort Content, leur septième album studio, le premier depuis Shrinwrapped (1995), Andy Gill, le guitariste aux riffs en lames de rasoir, se met à table dans un coin des Halles Saint-Géry.

Votre retour dans les bacs, après 16 ans de silence discographique, est-il lié à notre préoccupante situation politique, économique et sociale?

Andy Gill: Je ne sais pas si c’est la raison de notre come-back. Mais pendant les années 80 et 90, sans doute aussi encore au début des années 2000, l’Ouest, je parle de l’Europe et des Etats-Unis, a grosso modo eu la belle vie. On avait de l’argent. On empruntait. On dépensait. Puis est arrivée cette fameuse crise. Elle représente, à mon avis, le premier grand tournant depuis 20 ans. Un tournant relativement similaire à celui qui a frappé la Grande-Bretagne en 1978. L’époque de nos débuts. Souvenez-vous de l’hiver du mécontentement. Puis de l’arrivée de Thatcher. Je pense qu’on peut tracer des grands parallèles entre ce qui arrive au monde aujourd’hui et ce qui s’est passé en Angleterre à la fin des seventies. On a par ailleurs remarqué qu’une chanson comme Ether, qui est sortie en 1979 sur Entertainment! et parle de l’invasion de l’Irlande du nord par l’armée britannique, de cette lutte entre catholiques et protestants, de la torture de suspects irlandais et de notre confiance aveugle en les médias, pourrait très bien évoquer Guantanamo ou la situation actuelle de présumés terroristes…

Vous voulez dire que, dans les grandes lignes, les problèmes sont toujours quelque part les mêmes?

L’homme a beaucoup de mal à se projeter ne serait-ce qu’une heure dans le futur. Il pense que chaque jour est le dernier de l’Histoire. Il se dit que les types d’il y a 200 ans avaient un drôle d’air. Qu’ils n’étaient pas civilisés. Que maintenant on vit plus vieux. Qu’on a une bonne sécurité sociale. Il a l’impression d’être arrivé. Alors que clairement, l’Histoire, la vie, sont des continuums. On a peut-être des téléphones portables, mais quelles sont les différences fondamentales entre hier et aujourd’hui? Certains continuent de se conduire de manière sauvage. Des mecs se font torturer, assassiner… Et l’une des plus vicieuses périodes de l’Histoire de l’humanité remonte à la génération de mes parents.

Quand avez-vous commencé à vous engager artistiquement?

J’ai étudié l’art à l’université avec John. Leeds était une ville classique du nord de l’Angleterre. Si tu vas à Newcastle, Leeds, Manchester, c’est très moderne de nos jours. Parce que construit lors de ces 15 dernières années. Dans le temps, tu avais l’impression qu’une bombe venait de s’écraser. C’était laid. Peut-être avec un certain charme. Mais quand même déprimant. La région était basée sur l’industrie lourde. Et quand elle s’est écroulée, beaucoup de gens ont perdu leur boulot. L’extrême droite et le Front national se sont mis à prendre de l’ampleur. Nous, nous traînions avec des bohémiens, des artistes, des musiciens, des gays. Certains d’extrême gauche. D’autres pas. Il y avait des grandes bagarres dans la rue. Le Front national, je me souviens, a fait une marche. Une marche d’une dizaine de zozos encadrés par 300 flics. On appelle ça la liberté d’expression…

Pourquoi ces dernières années avoir surtout travaillé derrière les manettes?

J’aime la production. Comprendre ce que les groupes cherchent et désirent. Quelque part assimiler leurs règles du jeu.

C’était mal parti. Vous avez souffert, en 1984, lors de l’enregistrement du premier Red Hot Chili Peppers…

Nous n’étions pas du tout dans le même trip. Il y a beaucoup d’histoires amusantes voire légendaires sur notre collaboration. Les Red Hot étaient fans de Gang of Four. Et ils en voulaient quelque chose sur leur disque. Je n’avais pas beaucoup de bouteille. Et eux étaient même totalement inexpérimentés. Ils ne savaient pas du tout comment aborder les choses. Ils cherchaient davantage un pote qu’un producteur. Quelqu’un avec qui glander, boire des bières et qui prétendrait que ce qu’ils faisaient était génial. Quand j’ai commencé à proposer des trucs, ils se sont mis à pousser des grands cris. L’ignorance mène à la suspicion.

Par-dessus le marché, il fallait gérer Anthony Kiedis…

Parfois, Anthony s’éclipsait pendant plusieurs jours. Se saouler, se défoncer ou que sais-je encore. Il a rappliqué un bel après-midi, a traversé le studio, arraché une gratte des mains de Jack Sherman, et l’a explosée en 1000 morceaux. Hurlant un truc du genre: « Pas de putain de guitare acoustique sur mon disque.  » Puis, on ne l’a plus vu pendant 48 heures. Anthony était aussi fermement opposé à la drum machine. Il a même voulu la bousiller en martelant qu’elle n’avait pas d’âme. La scène était digne d’un dessin animé. Les Red Hot des débuts avaient des chansons punk, presque surf. Selon moi, dépassées. Et, de l’autre côté, ce truc groovy rap que je trouvais brillant.

Pour en revenir à votre nouvel album, ne pas travailler avec une major, c’est plutôt un choix ou une obligation?

Définitivement un choix. Une firme comme EMI a changé. Il s’agit toujours d’une boîte énorme avec des centaines d’artistes. Mais dans le temps, ses responsables se foutaient de ce qu’on faisait. Ils n’en avaient vraiment rien à battre. Tu enregistrais ton album. Tu le leur donnais. Tu leur filais l’artwork. Ils le sortaient. Le mettaient en magasins. Ils t’arrangeaient la promo, te goupillaient les interviews. Maintenant, vu la situation du business, la seule manière qu’ils voient de se faire du pognon, c’est de prendre 20 % de toutes tes rentrées. CD. Live. Merchandising. L’ère du 360°. On a donc préféré décliner les offres qu’on avait et prendre les choses en main.

Dans l’édition limitée de votre nouvel album, on peut trouver un échantillon de sang… Drôle d’idée…

Il y a une expression, « What do you want? Blood », qu’on utilise en anglais quand on a tout donné et qu’on en attend encore et toujours plus de vous. Comme ça, c’est fait. Puis, tout le monde aujourd’hui downloade et écoute la musique sans la payer. Et on s’est dit que notre sang, c’est vraiment à nous et que personne ne pourra le sortir de son ordinateur. Ces fioles feront partie du coffret avec pas mal d’autres trucs comme des odeurs. Pas toutes très agréables. Mais rassurez-vous: pas la mienne après l’un de nos concerts. C’est très pop art. En gros, il y a des mots comme « guerre », « sexe », « travail ». Et tu y associes l’odeur que tu veux. Il y aura aussi un petit bouquin avec des photos de nos émotions… Et encore un livre d’histoire, une espèce de grande carte sous forme de BD qui résume 40 ans en 20 dessins. Berlusconi avec une prostituée, Clinton en train de se faire sucer, sans oublier Dieu qui nous envoie le sida comme châtiment suprême…

RENCONTRE JULIEN BROQUET

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