Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

VISIONS TROUBLES – VOIX DE SOURIS, MÉLODIES FANTÔMES, LA CANADIENNE GRIMES POND UNE POP DE CHAMBRE GÉNIALEMENT GLACÉE. MAIS PLUS FACILEMENT ADMIRABLE QU’AIMABLE.

« VISIONS »

DISTRIBUÉ PAR 4AD.

Vous aimez les maisons hantées? Les vieilles baraques sombres au plancher grinçant, squattées par des spectres, peuplées de voix d’outre-tombe? Alors, Visions est probablement pour vous. Le premier véritable album de Grimes (deux autres sont parus précédemment, filés gratuitement sur le Net) n’est pas pour autant un film d’horreur. Il tient plutôt de la rêverie droguée, un trip à la fois aigre et cotonneux. La presse alternative s’est largement emballée. Le terme d’avant-pop est invoqué. Mais encore?…

Derrière Grimes officie Claire Boucher, Canadienne de 24 ans, née à Vancouver, basée à Montreal. Elle-même décrit son projet musical comme « post-Internet ». « Parce que mon cerveau est biologiquement différent de celui des gens qui n’ont pas été exposés au Net durant leur adolescence. «  Sur le site The Creators Project, elle parle ainsi d’ « une volubilité et une capacité d’adaptation (inhérentes à notre compréhension basique de l’Internet) qui mènent tout droit à ce que je considérerais comme le commencement d’une Renaissance musicale »… Vous cherchiez une nouvelle tête à claques? Grimes a toutes les cartes en mains…

A commencer par sa voix, qui en irritera plus d’un. Dans ses moments les plus couinants ( Eight), Grimes sonne par exemple comme une sorte de Minnie sous hélium (elle-même évoque l’influence d’Aqua, « danoiserie » eurodance, responsable de l’infâme Barbie Girl…).

Grimes n’a heureusement pas que ça à revendiquer. Visions ne mérite pas seulement son titre parce que chaque morceau semble émerger d’une brume hallucinatoire: les mélodies les plus évidentes ont beau baigner dans le sucre, c’est dans une sorte d’ouate qu’elles doivent tailler leur route.

Radeau de la méduse

Visions ose surtout une série d’idées, sinon nouvelles, en tout cas personnelles et audacieuses. On se plaint trop souvent de voir s’accumuler les albums poussifs, sans direction ni cohérence. A cet égard, Visions a cette qualité de faire une vraie proposition. Sur des morceaux comme Oblivion ou Be My Body, elle fait notamment des merveilles, entre electronica et funk lo fi. Sur Colour of Moonlight, elle se permet même de triturer le beat de When The Doves Cry de Prince. Signée sur 4AD, Grimes rappelle également parfois les gothiques historiques du label anglais, comme les Cocteau Twins ou les Cranes, sans que la filiation ne vire pour autant au revival. Visions navigue ainsi entre deux sentiments: d’une part, la volonté de retrouver des émotions primitives; de l’autre une espèce de distance, comme un rideau de fumée maintenu en permanence. Du coup, Visions fascine mais n’emporte pas facilement. Avant de se plonger complètement dans la musique, Claire Boucher avait eu le projet de rejoindre la Nouvelle-Orléans avec son boyfriend, à bord d’un rafiot construit de leurs propres mains. A bord de la péniche faite maison, des poules, une machine à coudre, et un exemplaire des Aventures de Huckleberry Finn. L’embarcation sera rapidement arrêtée par la police. Mais l’expérience n’aura pas manqué de panache. Un peu à l’image de Visions: mal fagoté, restant parfois à quai, il redonne néanmoins le goût de l’aventure.

EN CONCERT LE 17/05, AUX NUITS BOTANIQUE, BRUXELLES.

LAURENT HOEBRECHTS

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