JAMES KENT SIGNE UN BEL HOMMAGE À L’ÉCRIVAINE PACIFISTEVERA BRITTAIN, DANS L’ÉMOUVANT TESTAMENT OF YOUTH.

Tout comme Vera Brittain quelques décennies plus tôt, James Kent a fréquenté l’Université d’Oxford. Et comme elle, il y a étudié l’histoire. Mais si intégrer la prestigieuse institution relevait de la normalité pour le futur réalisateur, il s’agissait d’un exploit pour la jeune fille en ce début de XXe siècle où la société en général et le milieu académique en particulier n’étaient guère enclins à satisfaire la volonté d’émancipation de la gent féminine… L’entrée de Vera à Oxford allait être suivie par le déclenchement de la Première Guerre mondiale, et la disparition précoce des jeunes hommes de son entourage, familial, amical et amoureux. De quoi la motiver à s’engager d’abord en tant qu’infirmière à Londres, à Malte et en France, puis plus tard à s’ériger en témoin littéraire et militante pacifiste. « Enfant, j’avais vu l’adaptation de son livre Testament of Youth que la BBC avait produite en 1979, et elle m’avait beaucoup impressionné », se souvient Kent que la même chaîne a invité à diriger, pour le cinéma cette fois, une nouvelle transposition de ce fort bouquin basé sur des lettres écrites durant la guerre.

Réalisateur d’une déjà très fascinante adaptation du roman gothique The Thirteenth Tale (de Diane Setterfield) pour la télévision, c’est avec humilité mais aussi confiance qu’il s’est attelé au projet, avec -chose importante- une scénariste. « Juliette Towhidi a apporté son regard de femme, sans pour autant trop appuyer l’aspect féministe de la trajectoire de Vera, son engagement pacifiste étant au coeur d’un film où je voulais montrer le point de vue subjectif de Vera, et ce, en employant tous les outils disponibles. » Les outils incluant une subtile « infiltration » des temps. Les images d’espoir et d’insouciance précédant la guerre étant des réminiscences de l’héroïne, on y trouve comme en filigrane le poids du destin pesant sur les jeunes protagonistes. Les garçons entourant Vera sont d’une certaine manière déjà morts. Et les paysages du Yorkshire se teintent délicatement de l’incertitude propre aux films de fantômes… « Les 40 premières minutes du film ont été célébrées par certains comme dignes de Jane Austen, constate le réalisateur, mais elles n’ont rien à voir avec son univers ni avec le genre du film d’époque, de patrimoine, tellement pratiqué au Royaume-Uni! Les images de la campagne anglaise sont certes belles, mais d’une beauté inquiète. Et l’optimisme où paraissent baigner tous ces jeunes gens porte sur lui l’ombre des choses terribles qui s’annoncent, par-delà les collines… »

Engagement

« Ma grande inspiration a été Brief Encounter de David Lean, avec aussi quelques échos du cinéma de Jane Campion », déclare un James Kent qui devait trouver une remarquable actrice pour incarner celle qu’il compare à « une lumière autour de laquelle les hommes tournaient comme des papillons de nuit fascinés ». L’Irlandaise Saoirse Ronan (Lovely Bones, Byzantium, Lost River)fut choisie, mais un conflit d’agendas l’empêcha de tenir un rôle qui finit par aller à la jeune et si talentueuse Suédoise Alicia Vikander, révélée dans A Royal Affair, et que ses origines étrangères n’empêchent pas d’être une brillante incarnation de Vera Brittain. « Elle est si douée, s’émerveille son metteur en scène, et surtout, elle n’a peur de rien. Elle possède une présence proche de celle des grandes stars du cinéma muet. Elle « tient » les gros plans avec une telle puissance d’expression pure que même sans rien dire, tout est dit! Elle a une luminosité unique, ses yeux sont comme des puits de chagrin… C’est une grande tragédienne! »

La controverse autour de Brittain et son pacifisme réaffirmé alors que l’Allemagne d’Hitler préparait ses conquêtes n’est plus qu’un lointain souvenir, explique Kent: « Le pacifisme était certes un choix difficile à assumer face au nazisme, même si Vera prenait aussi la parole contre Hitler. Mais nous sommes aujourd’hui plus avertis, mieux informés qu’en 1939. Nous avons eu, depuis, la guerre de Corée, celle du Viêtnam, l’Irak, la Syrie. Le cercle vicieux qu’est la guerre, sa propension à se répéter perpétuellement offrent plus d’arguments encore à ceux qui la refusent… A condition de s’engager vraiment, comme l’a fait Vera. A notre époque très et trop dépolitisée, plein de gens ont l’impression d’agir en balançant un tweet rageur ou en signant une pétition en ligne. Ils sont loin du compte! Testament of Youth veut entre autres nous rappeler ce qu’est réellement l’engagement, ce qu’implique pour la jeunesse de s’élever contre les aveuglements de ses aînés. Cela me semble un message digne d’intérêt, pour un film… »

RENCONTRE Louis Danvers

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