L’ACTRICE CHINOISE RETROUVE ZHANG YIMOU POUR COMING HOME, UN MÉLODRAME SENSIBLE OÙ ELLE INCARNE UNE FEMME FRAPPÉE D’AMNÉSIE APRÈS L’ARRESTATION DE SON MARI PENDANT LA RÉVOLUTION CULTURELLE.

À propos de Coming Home, son nouveau film, Zhang Yimou évoque un retour aux racines de son art. On peut en dire autant de Gong Li, actrice chinoise au profil désormais international qui en revient là à ses premières amours, lorsque Yimou la découvrait à l’Académie d’art dramatique de Pékin pour la faire tourner dans Le Sorgho rouge. C’était en 1987, et la toute jeune comédienne entamait un parcours étincelant qui allait en faire l’icône des cinéastes chinois de la cinquième génération, tournant donc avec Zhang, devenu son compagnon, mais aussi Chen Kaige, pépites et même chefs-d’oeuvre, les Vivre!, Qiu Ju ou autre Adieu ma concubine qui ont laissé une empreinte indélébile dans l’imaginaire cinéphile. La suite devait -forcément- s’écrire entre Orient et Hollywood, Gong Li rayonnant de son incandescente beauté dans les productions les plus diverses, pour alterner le meilleur (2046 de Wong Kar-wai, il y a dix ans déjà), le dispensable (Memoirs of a Geisha de Rob Marshall) et même le pire (Hannibal Rising de Peter Webber).

Une actrice et non une star

C’est dire si Coming Home vient à point nommé pour nous redonner la mesure de son talent. Adapté du roman The Criminal Lu Yanshi, de Yan Geling, il s’agit là d’un mélodrame sensible, inscrit dans les plis de l’Histoire. Gong Li y campe Feng Wanyu, une femme dont le mari, Lu Yanshi, un prisonnier politique, est renvoyé dans des circonstances dramatiques dans un camp de travail. Libéré aux derniers jours de la Révolution culturelle, il la retrouvera amnésique et incapable de le reconnaître; occupée, de tout son être et de toute son âme, à guetter obstinément le retour de l’être aimé, tandis que ce dernier s’active à ses côtés à raviver ses souvenirs. « C’était un rôle exceptionnel, même si guère évident, observe la comédienne, qui apparaît là sous un visage inédit, ridulé et terni par l’âge. Me donner à voir vieillie et la beauté altérée ne me pose pas de problème. Je ne me considère pas comme une star mais bien comme une actrice. Et à ce titre, le défi est d’interpréter chaque fois une femme différente. Je suis ravie que l’on découvre une autre Gong Li, éloignée de celle que je suis censée incarner », explique-t-elle avec le concours d’une interprète, l’actrice ne s’écartant qu’en de fort rares occasions du mandarin pour glisser l’un ou l’autre mot d’anglais dans la conversation, son expression lumineuse lui tenant lieu d’esperanto.

Afin de préparer son rôle, Miss Li s’est rendue dans des institutions accueillant des patients ayant, comme son personnage, perdu la mémoire. « Pendant deux mois, j’y suis allée chaque jour, bavardant avec eux et avec leurs familles, m’imprégnant de leurs réactions, de leurs mouvements et de leurs émotions. Leurs proches m’ont raconté qu’ils recouraient parfois à des photos, des lettres ou de la musique pour tenter d’éveiller leurs souvenirs. Et c’est ainsi que j’ai suggéré à Zhang Yimou d’utiliser le morceau de piano, une idée à laquelle il a totalement adhéré. » Et un exemple parmi d’autres du « sentiment d’harmonie » ayant présidé à Coming Home. « Nous nous connaissons fort bien, Zhang et moi, et savons mutuellement ce dont nous avons besoin. Nous ne nous contentons pas de demi-mesure. »

Avec ce film, Zhang Yimou rappelle aussi combien il excelle à confronter ses protagonistes au tourbillon de l’Histoire, esquissant un mouvement inscrit au confluent de l’intime et du collectif. Et si ce drame familial charrie des émotions profondes, c’est peut-être aussi parce qu’il est inscrit dans la chair même de la Chine contemporaine, amnésie ou non. Gong Li ne dit d’ailleurs rien d’autre, lorsqu’elle parle de son expérience personnelle de la Révolution culturelle: « Je n’étais encore qu’une toute petite fille, mais j’en ai gardé un souvenir vivace. Mes parents étaient professeurs, et lorsque, à l’époque, les universités ont été fermées, ils se sont retrouvés sans emploi, avant d’être contraints de travailler en usine. Quant à mon frère et à ma soeur aînés, faute d’écoles, ils ont été, comme beaucoup d’autres étudiants, affectés dans un village, pour travailler aux champs. Mes deux plus jeunes frères ont pu rester à la maison. Et moi, qui étais âgée d’à peine trois ans, j’ai été privée de garderie. Pendant dix ans, il n’y a plus eu d’éducation en Chine. Tout au plus si subsistaient des écoles primaires, afin que les enfants apprennent à écrire. Petit à petit, cependant, les choses se sont assouplies, et j’ai pu suivre une scolarité normale. »

Le temps, depuis, a fait son oeuvre, et les pages de l’Histoire de tourner. Gong Li, pour sa part, semble à la croisée des chemins, qui confie encore, alors qu’on l’interroge sur sa carrière internationale: « Quand vous prenez un scénario hollywoodien, les personnages asiatiques y sont en général réduits à fort peu de choses. Voilà pourquoi je ne tourne pas plus à Hollywood. Mais je ne désespère pas de me voir proposer, un jour, d’autres bons scénarios, comme celui de Miami Vice, et de retourner travailler avec des cinéastes et des acteurs américains », sourit-elle, diplomatiquement. Michael Mann, son réalisateur d’alors, lui donnait de la « Meryl Streep chinoise ». Ce dont Coming Home vient apporter aujourd’hui la délicate démonstration…

COMING HOME, MÉLODRAME DE ZHANG YIMOU. AVEC GONG LI, CHEN DAOMING, ZHANG HUIWEN. 1 H 49. SORTIE: 10/12.

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RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

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