Glasgow ranger

Barry Graham a plusieurs casquettes: écrivain, moine zen, activiste... © DAISHIN STEPHENSON

Journaliste, écrivain et moine zen, l’Écossais Barry Graham (Le Livre de l’homme, la vie après l’ego…) publie l’une de ses premières oeuvres, le mélancolique et très touchant Le Champion nu.Un clin d’oeil à l’ancien boxeur qu’il fut, primé au dernier festival de Pau.

Dans le formidable Champion nu, Barry Graham retrace l’histoire de Billy, un ancien boxeur devenu journaliste qui couvre la préparation et le combat pour le titre mondial de son ami Ricky. Comme dans Le Livre de l’homme, Barry Graham décrit un Glasgow quasi identique à celui qui sert de décor à Irvine Welsh et à son Trainspotting. Les deux histoires ont beau être foncièrement différentes, la description de la vibe de la ville de l’époque, rongée par la violence urbaine et par l’héroïne, est loin d’être exagérée. L’enfance dans le Glasgow où Graham est né en 1966 et a grandi est âpre, rude, brutale et violente. Excessivement violente.

Dans les jardins de la bibliothèque municipale, quartier général de la 13e édition du festival Un aller et retour dans le noir de Pau, il le concède lui-même: s’il n’avait pas découvert la méditation -il est aujourd’hui moine zen-, Graham serait  » soit mort soit en prison« .  » Je n’ai pas reçu d’éducation formelle« , précise-t-il.  » Tout ce que j’ai appris, c’est à la bibliothèque municipale que je le dois. C’est le seul endroit où je pouvais me réfugier et être en sécurité tant physiquement qu’intellectuellement. Je suis issu d’une famille violente et abusive. J’ai quitté la maison à 14 ans pour vivre dans la rue pendant quelques années. Je préférais dormir dehors plutôt que dans des foyers où il n’est pas rare que de jeunes adolescents se fassent violer. Le premier auteur à m’avoir marqué, c’est George Orwell. Et Frantz Fanon, l’auteur des Damnés de la terre, qui est aussi psychiatre. Son livre reste une influence majeure parce qu’il m’a fait comprendre d’où venait ma colère. Selon lui, la résistance violente est nécessaire pour la santé mentale des opprimés. » Il poursuit:  » J’ai beaucoup lu aussi Elmore Leonard, Stephen King, Graham Greene. Mais si je devais n’en choisir qu’un, ce serait Yasunari Kawabata, le premier Japonais à avoir reçu le prix Nobel de littérature. Quand j’ai décidé de quitter Glasgow pour les États-Unis, où je suis resté 22 ans, je voulais d’abord m’installer au Japon. Ne parlant pas la langue, je me suis dit que ça allait être compliqué d’y trouver un travail. »

Avant de s’envoler pour l’Arizona et Phoenix -Graham se posera aussi dans l’Oregon-, il pige pour le magazine Insider et signe des portraits pour le grand quotidien écossais du dimanche, le Sunday Mail. Il boxe aussi. Discipline qu’il finit par lâcher se considérant  » médiocre » sur le ring. Il a beau se défendre d’écrire des romans autobiographiques, Le Champion nu, écrit en 1991, explore un monde qu’il connaît bien. Et surtout la condition humaine qu’il évoque avec une infinie tendresse. À l’économie, c’est là où Barry Graham est un grand écrivain: avec des mots simples, des personnages fissurés et touchants et des situations dans lesquelles tout le monde se retrouve, l’auteur parvient à être universel dans son propos. Un peu à la manière d’un John Fante.  » On peut raconter à peu près n’importe quelle histoire si on le fait avec compassion. À l’époque du Livre de l’homme, j’avais reçu un courrier d’un père célibataire (l’un des personnages de ce roman salué par l’American Library Association en 1995 élève son fils seul en raison de l’addiction à l’héroïne de la mère, NDLR). Il m’a demandé comment ça se passait avec mon gamin alors que je n’ai pas d’enfant. »

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Injection létale

Doté d’une générosité rare, Barry Graham devient témoin d’exécution capitale à la demande de deux condamnés à Phoenix. Foncièrement contre la peine de mort, il raconte cette expérience  » traumatisante » dans Regarde les hommes mourir initialement publiée dans le magazine Flaut en 2008, avant d’être traduit en français par la défunte maison 13e Note en 2011.  » La sentence en Arizona, c’est la mort par injection létale, une façon particulièrement cruelle et barbare pour mourir. Le premier que j’ai accompagné était un Latino, Jose Ceja, auteur d’un double meurtre à 18 ans qui a été finalement exécuté 23 ans plus tard. Ça me rappelle cet autre cas, à Phoenix, d’un homme qui a planifié le meurtre de sa femme et de ses trois enfants. Mais comme il était Blanc et riche, il n’a pas été condamné à la peine capitale. Si l’Amérique était une personne, je dirais qu’elle devrait être enfermée dans un hôpital psychiatrique jusqu’à la fin de ses jours. D’ailleurs, le lendemain de l’élection de Trump, j’ai pris le premier vol et je suis rentré à Glasgow. »

De retour au pays, Barry, qui s’attendait à croiser des fantômes à chaque coin de rue, est étrangement serein et apaisé.  » C’est la méditation mais la ville avait changé, et en bien« , confie l’auteur du récent La Vie après l’ego, manifeste zen ludique et inspiré sur le lâcher prise. Il habite un petit appartement qu’il partage avec son épouse, moine également, écrit ce qui pourrait bien devenir son prochain roman, continue à enseigner, publie quelques petites chroniques sur son blog tout en étant membre actif du SNP, le Parti national écossais qui prône l’indépendance. Si les chats ont sept vies, Barry Graham semble avoir un crédit illimité en la matière.

Le Champion nu, de Barry Graham, éditions Tusitala, traduit de l’anglais (Écosse) par Clélia Laventure, 220 pages.

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