GET WELL SPOON

Spoon (de gauche à droite: Eric Harvey, le leader Britt Daniel, Jim Eno et Rob Pope): toujours pertinent, 20 ans plus tard. © © DR

TENACE, LE GROUPE AMÉRICAIN SORT UN NOUVEL ALBUM, HOT TOUGHTS, AUX HUMEURS INDIE-ROCK TOUJOURS AUSSI CONSISTANTES, ADULTES MAIS PAS FORCÉMENT RANGÉES.

Ce jour-là, Spoon vient tout juste de débarquer en Europe. Mike Pence, le tout nouveau vice-président des États-Unis, aussi. « On est vraiment désolés », s’excuse Jim Eno, le batteur. L’ère Trump est lancée officiellement depuis un petit mois, et le groupe américain n’a toujours pas l’air de s’en remettre. « C’est une source constante de discussion, admet Britt Daniel, frontman de Spoon. Et je hais cela. Parce que c’est précisément ce qu’il recherche. Est-ce qu’on ne pourrait pas un moment ignorer cet enc…? Arrêtons de commenter chacun de ses tweets et creusons un peu plus loin ses liens avec la Russie. » Comme beaucoup, les membres du quatuor n’ont pas vu arriver la catastrophe. « Je n’ai pas d’explication, continue Daniel. Je ne comprends toujours pas ce qui s’est passé. Aussi parce qu’on évolue dans un milieu où personne n’a voté républicain… Le fait est que l’Amérique est aujourd’hui divisée en deux. C’est comme un grand clash de cultures. Entre les ruraux et les urbains, les personnes éduquées et celles qui le sont moins… Je ne connais qu’un seul ami qui a voté Trump. On a eu une brève conversation par mail. Mais je ne vais pas le convaincre, et il ne va pas me convaincre… » Jim Eno prolonge: « Il y a comme une espèce de culpabilité. L’impression qu’on n’a pas forcément fait tout ce qu’il fallait pour éviter ça. Pendant la campagne, on était complètement plongés dans l’enregistrement de l’album, et puis nous étions persuadés qu’Hillary Clinton allait l’emporter… Aujourd’hui, je me dis qu’il faudrait davantage se mobiliser. Les élections de la mi-mandat arriveront vite, on devrait faire quelque chose. »

On s’était promis de ne pas lancer directement le groupe sur le sujet. Il a saisi lui-même la balle au bond. Une seule référence a suffi. Sur le morceau Tear It Down, Daniel Britt chante: « Let them build a wall around us/I don’t care I’m gonna tear it down/It’s just bricks and ill intentions/They don’t stand a chance. » Des mots qui font forcément penser au mur que le nouveau « Potus » a l’intention de construire entre les États-Unis et le Mexique. Ces paroles figurent sur le nouvel album du groupe, Hot Thoughts. L’air de rien, il s’agit déjà de leur neuvième disque. Pourtant, malgré ce qui ressemble bien à une carrière, on se sent encore obligé à ce stade-ci de rappeler à qui on a affaire. Jusqu’ici, Spoon est en effet resté essentiellement une affaire nord-américaine. Récoltant pas mal de succès, incapable de livrer un vrai mauvais disque, mais sans jamais non plus sortir le carton qui aurait fait l’unanimité. En d’autres mots, le genre d’équipe à jouer la Champions League chaque année, sans jamais dépasser le stade des poules…

Working class hero

L’an dernier, le groupe formé à Austin, Texas, a ainsi fêté les 20 ans de la sortie de son premier album, Telephono. Sans tambours, ni trompettes. « Bah, chaque année, vous pouvez trouver une occasion de célébrer quelque chose », lâche Daniel, laconique. Ce n’est pas rien pourtant, ce qu’a bâti Spoon. Il peut en effet se targuer d’un parcours particulièrement solide, qui s’est toujours passé des autocélébrations de type live ou best of, pour creuser et pratiquer un idiome musical qu’on qualifierait de rock US indie. Du moins si le terme ne se résume pas à une pose, « ce truc très autocomplaisant, glisse Daniel, où les types se contentent de faire toujours un peu la même chose, soi-disant par intégrité artistique, alors qu’il s’agit souvent d’une forme de paresse. »

La musique de Spoon sera donc assez ouverte pour toucher le grand public, mais trop fière pour tomber dans les formules toutes faites. Ceci expliquant sans doute une trajectoire un poil chahutée. Comme quand Spoon se retrouve signé sur la major Warner (via Elektra), en 1998: après un seul album, aux performances commerciales jugées décevantes, le groupe se fera virer aussi sec. De cet épisode, il a tiré deux morceaux –The Agony of Laffitte et Laffitte Don’t Fail Me Now-, le Laffite en question étant le patron du label les ayant amenés sur Elektra, avant de prendre la tangente…

Finalement, c’est grâce en partie au soutien des blogs, qui au début des années 2000 ont redonné un nouveau souffle à la critique musicale, que Spoon va rebondir. Des albums comme Gimme Fiction (2005) ou Ga Ga Ga Ga Ga (2007) font alors le « break ». Résultat: quand un site comme Metacritic dresse le classement des artistes les mieux cotés par la presse au courant des années 2000, c’est Spoon qui arrive en tête… Aujourd’hui, Britt Daniel et ses camarades continuent de taper sur le clou, privilégiant une éthique du travail sur la frime et l’esbroufe. « Au début, quand vous recommencez à écrire, c’est rarement bon. Il faut du temps et du boulot pour se remettre dans un rythme, un mouvement. C’est notamment pour cela que les disques dans les années 60 étaient tellement incroyables. Les groupes ne tournaient pas tout le temps, ils étaient dans l’écriture, coincés en studio. »

Avec ses textures plus électroniques (Pink Up, ou Us et son saxophone planant), voire carrément dance (Can I Sit Next To You, équivalent de Miss You pour les Stones), le nouveau Hot Thoughts n’est pas une révolution, mais bien le nouveau pas de côté d’un groupe qui veut rester pertinent à tout prix. La principale réussite du disque étant que, jamais, le geste ne sonne laborieux. « On est hyper conscients du fait que nos plus grands héros ont toujours fini par sortir des disques moins réussis, y compris des génies comme Prince. Garder cela en tête vous pousse à bosser plus dur. Et essayer toujours plus de choses. »

SPOON, HOT THOUGHTS, DISTR. MATADOR.

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