Bernard Roisin Journaliste

AVEC LES ÉVÉNEMENTS, JEAN ROLIN DÉCRIT DE FAÇON VOLONTAIREMENT ATONALE UNE FRANCE CONTEMPORAINE RAVAGÉE PAR UN CONFLIT INTERNE. L’ART FRANÇAIS DE LA GUERRE?

Les Événements

DE JEAN ROLIN, ÉDITIONS P.O.L., 197 PAGES.

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Boulevard Sébastopol à Paris, une voiture roule pied au plancher, pressée de quitter la capitale et son aspect désolé. C’est que la guerre civile y fait rage comme dans toute la France d’ailleurs, les barrages se multipliant au gré des factions, des groupuscules, qui luttent pour le contrôle du plus insignifiant carrefour, de la plus petite départementale. Et si lui, le conducteur qui parle et dont on ne saura pas grand-chose, peut sortir aussi prestement de cette ville orpheline de sa lumière, c’est qu’il est porteur d’un colis de médicaments à remettre à Brennecke, à la tête des Unitaires, qui, repliés sur la Loire, combattent entre autres le Hezbollah modéré. Sa mission accomplie, le narrateur retrouve auprès du chef de guerre, sorte de Mladic aux petits pieds, Victoria -qu’il a brièvement connue. Sa maîtresse d’un soir l’enjoint de partir à la recherche de son fils (dont il pourrait bien être le père), engagé auprès d’un groupe anarchiste coincé dans un réduit marseillais. Répondant à un semblant de devoir paternel, le fuyard, car c’en est un, s’en va à la recherche d’un fils hypothétique et d’un bateau pour un ailleurs qui l’est tout autant…

Déflagration prémonitoire

Décrits dans une sorte de sidération stupéfaite et dans ce qui ressemble à une morne indifférence, les « événements » qui jalonnent l’ouvrage de Jean Rolin voient l’esprit de cet homme en fuite se réfugier dans l’évocation de la nature, dont le caractère immanent est une façon pour lui de se distraire, se raccrocher à une normalité pour ne pas sombrer au coeur de ce paysage de guerre forcément « uniforme ». Les images évoquent bien sûr la Syrie, l’Irak, le Congo, mais surtout la Yougoslavie par son caractère européen et proche, le morcellement du territoire, la multiplicité des forces en présence… comme celle des snipers.

Un roman qui débute par le néant et se termine dans l’inconnu, renforçant l’impression d’absurdité des combats au milieu desquels les civils survivent en mimant la normalité. Une situation où l’indifférence tient lieu de carapace, la lâcheté d’arme défensive, et la débrouille de fusil d’assaut.

L’écriture de Jean Rolin, qui se veut comme Modiano archiviste précis des lieux (mais pas des êtres, contrairement à lui), est d’une fausse platitude, livrant une description clinique de la géographie des rues, des paysages. Il se montre par ailleurs houellebecquien dans sa description de la France pavillonnaire du crépi crème et des centres commerciaux urbains satellitaires désertés et désormais hébétés, car en ruines. Sauf qu’ici l’étude de caractère est totalement absente -comme l’humour d’ailleurs. Et sans doute est-ce volontaire, chaque individu pris dans le conflit n’étant finalement, quel que soit son rôle, que de la chair à canon interchangeable: uniforme sous son camouflage et comme prisonnier d’une chape d’abrutissement qui empêche de penser plus loin que l’autre côté de la rue, qu’il cherche à atteindre.

Bien sûr, la déflagration de ce début d’année résonne prémonitoirement dans ce roman achevé d’imprimer en janvier. Gageons que Rolin a bien rédigé une fiction et non pas un roman… d’anticipation.

BERNARD ROISIN

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