« QUELQUE PART, AU-DELÀ DU BIEN ET DU MAL, IL Y A UN JARDIN. JE T’Y REJOINDRAI. » DJALÂL AD-DÎN MUHAMMAD RÛMÎ

Dans le polar, on regarde généralement un peu plus bas que la ligne d’horizon. On creuse, on gratte, on fore sous la surface lisse des apparences. On observe la société par en dessous. L’exposition Le Paradis et l’Enfer: des tapis volants aux drones nous montre au contraire comment l’homme s’imagine et se représente un peu plus haut que le plancher des vaches. Et pourtant, l’un et l’autre racontent au fond la même histoire, l’éternelle rengaine: comment l’homme a été chassé du ciel. Cette fois, pourtant, il n’y a pas besoin d’imaginer un dieu vengeur, désignant la porte de sortie à Eve et Adam: il ne suffit que de constater, au fil des salles, son inventivité infinie pour s’exproprier lui-même hors d’un imaginaire céleste heureux.

Car le firmament s’est singulièrement obscurci ces derniers temps. Il a été colonisé par les drones. A défaut du monde réel, les petites machines volantes grignotent tous les interstices de l’imaginaire. Elles peuplent désormais les nues de mille regards ennemis, à la fois voyants et aveugles… Non seulement elles nous observent mais elles peuvent aussi nous tuer. Désormais, Big Brother est sur Terre comme au Ciel.

Pourtant, il y a eu une place dans l’imaginaire humain où il faisait bon vivre. Il existait une parcelle, un lieu entre la nue et la croûte terrestre, l’espace fini entre les deux -un petit rectangle de tissu.

Attention, le tapis volant ne nous propose pas d’atteindre le nirvana, il a des aspirations modestes. Son rêve d’élévation reste mesuré. L’homme y a la possibilité de voler, certes, mais quoi? Dix, quinze mètres au-dessus du sol.

On ne louera jamais assez cette relative humilité. Car c’est ce qui fait le prix de cette micro-surface sobre, de cet espace nu, quasi abstrait, étranger à l’hubris d’Icare. Avec le tapis volant, on ne rêve pas de rejoindre l’astre solaire, ni de grimper au sommet de la tour de Babel. On tente juste d’aller un peu plus haut, un peu plus vite. De rester sous les radars, en quelque sorte. Entre deux mondes. Dans une zone autonome temporaire, permettant de s’abstraire un moment de la pesanteur terrestre. Un espace où vivre en harmonie, loin du regard normatif de la loi.

Pas d’éternité, pas d’Olympe, juste une halte imparfaite où reprendre haleine.

Et au fond c’est beaucoup plus rassurant. Car on sait avec quel acharnement ceux qui rêvent trop fort au Ciel font de la vie sur Terre un enfer.

Terminons donc où l’exposition commence, en cultivant notre tapis -tout imparfait, sobre et fini, qu’il puisse être. Un tout petit peu plus haut que la ligne d’horizon.

UN TEXTE INSPIRÉ PAR L’EXPO LE PARADIS ET L’ENFER: DES TAPIS VOLANTS AUX DRONES, À LA FONDATION BOGHOSSIAN – VILLA EMPAIN, AVENUE FRANKLIN ROOSEVELT 67, BRUXELLES. JUSQU’AU 06/09.

ELSA MARPEAU

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