INVENTÉ PAR HBO, LE MODÈLE DE LA SÉRIE D’AUTEUR EST DÉSORMAIS REPRIS À PLEIN POUMON PAR CANAL+. AVEC LES REVENANTS, SÉRIE HYBRIDE ET FANTASTIQUE, LE DÉPARTEMENT CRÉATION DE LA CHAÎNE REDONNE UN SOUFFLE D’AUDACE À UNE SÉRIPHILIE FRANÇAISE PERDUE EN RASE CAMPAGNE.

Comment réussir à se démarquer quand on sait que l’Amérique a depuis toujours détenu le sens de la mise en scène et du suspense? Comment parvenir à faire mieux ou aussi bien que The Wire, Lost ou Boss? De Les beaux mecs à Hard, on ne compte plus les séries françaises qui ont tenté ces dernières années de vendre au téléspectateur l’argument « auteur ». En vain.

Dernière venue sur la chaîne cryptée, pilotée par le réalisateur de cinéma Fabrice Gobert (l’intrigant Simon Werner a disparu) avec Anne Consigny et Clotilde Hesme en tête d’affiche: Les Revenants. Une première saison en huit épisodes qui débarquera le 26 novembre prochain sur BeTv. Signe d’une série française en pleine revitalisation? A entendre Fabrice de La Patellière, directeur de la fiction sur Canal+, la réalité n’est certes pas évidente- « le terme « création originale » est compliqué et lourd à porter »– mais laisse présager un bel avenir: « Peu à peu, on parvient à s’approprier le genre fantastique qui est plutôt une tradition anglo-saxonne. Avec Engrenages ( lire par ailleurs) , on essayait déjà de s’imprégner d’un monde et d’une atmosphère visuelle. On tente d’en faire autant aujourd’hui avec Les Revenants . On veut reconquérir le jeune public qui s’était peu à peu détourné de nos séries parce qu’elles n’étaient plus connectées à la réalité. Avec Engrenages , on avait commencé cette refonte en prenant le temps de creuser et d’approfondir les choses. »

HBO, quand tu nous tiens

Tout cela peut rappeler l’inspiration d’une grande chaîne américaine, HBO, qui donna jadis The Wire, Six Feet Under ou encore OZ. La passion de Canal+ pour HBO est avérée. En tant que chaîne payante, elle a d’ailleurs été l’introductrice de la série d’auteur en France -et en Belgique via BeTv. Mais contrairement aux Etats-Unis ou à l’Angleterre où ce genre de fiction peut exister potentiellement sur cinq ou six saisons, les créateurs français n’ont que très peu de liberté et, de façon aussi regrettable qu’inévitable, préfèrent se dissoudre littéralement dans le second degré plutôt que de surprendre un peu le téléspectateur. Fabrice de la Patellière s’explique: « Faire dans le spectaculaire ne correspond pas à nos moyens, ni à notre culture. On a aussi beaucoup reproché le côté morbide de nos séries. Pourtant, on essaye en permanence d’être très innovant, de prendre un genre et de le retourner très concrètement. » Mais si les séries comme Lost ou Game Of Thrones sont inimaginables en France, qu’en est-il des scénarios naturalistes à la The Wire? Là encore, les chances sont minces. Obnubilées par les audiences, les chaînes françaises ont trop souvent peiné à conter la réalité, accouchant majoritairement de feuilletons certes élégants, mais trop lisses et consensuels. Faute de temps, principalement. Pour Fabrice de la Patellière, cela tend à changer: « Les Revenants a nécessité quatre ans d’écriture et de production. On n’a pas voulu faire LA nouvelle série de morts-vivants qui ne se destinerait qu’aux geeks. »

L’intérêt d’une série tient à ce qu’elle s’écarte radicalement de toute fiction télévisuelle déjà réalisée. Canal+ a beau jouer la carte HBO à fond et France Télévisions tenter de concurrencer la chaîne cryptée, aucune des deux ne semblait jusqu’alors tenir la comparaison: ni dans l’ambition sociologique, ni dans la posture. Sans même réussir à fédérer. Sauf avec des Louis la Brocante… Pour autant, la qualité créative des showrunners français s’améliore. Fait assez rare pour être souligné: 2012 a ainsi vu naître sur les chaînes de télévision françaises plusieurs séries aussi érudites qu’étourdissantes: Ainsi soient-ils, Les Hommes de l’ombre, voire Kaboul Kitchen. Et cela ne pourrait se réduire à une simple touche stylistique.

Pour Fabrice Gobert, qui a toujours bousculé les clichés dans ses films à la beauté plastique évidente, le mérite en revient autant à la qualité des écrivains qu’aux chaînes, devenues plus courageuses sur ce terrain. « Très honnêtement, des chaînes comme Canal+ apportent beaucoup de liberté. On sent qu’il y a de plus en plus d’enthousiasme à l’idée de faire une série qui sorte des sentiers battus. Non seulement on s’éloigne du modèle américain pour se rapprocher davantage de l’esprit danois ou anglais, mais en plus on commence à comprendre qu’une série sera plus crédible si elle colle à la réalité. »

Un modèle à suivre

A rebours des codes esthétiques dominants, Les Revenants passe par un dispositif rare pour interroger le rapport des vivants avec les morts: résurrections, mirages, magie noire. Sur le papier, de quoi faire fuir tout spectateur francophone normalement constitué. Ou n’attirer que des pervers morbides. Sauf que Les Revenants -titre à prendre au premier degré- affiche une vraie efficacité d’écriture, d’autant plus saisissante quand on sait que Fabrice Gobert, le scénariste, ne vient pas de la télé.

Le réalisateur parvient toutefois, dès la première scène, à imprimer sa patte esthétique, et musicale (la bande-son est confiée à Mogwai). Reconnaissable entre tous, le style Gobert, jamais bien loin lorsqu’il s’agit de laisser trainer sa caméra dans des eaux un peu sombres, a le mérite de ne pas insulter l’intellect, et participe de fait au divertissement inventif orchestré par Canal+. « Les Revenants est un projet particulier puisque les producteurs m’ont demandé de travailler sur la série après avoir vu Simon Werner . Je voulais donc conserver cette inspiration-là, la creuser », se justifie-t-il aujourd’hui . Dans un monde terriblement ordinaire, Les Revenants multiplie donc les faux-semblants et tresse une multitude de portraits à mesure qu’on progresse sur le rythme d’un polar à l’étonnante densité: issus de générations et de milieux différents, les personnages rentrent à leur domicile. Rien n’a changé, pourtant ils sont morts depuis des années et doivent désormais reprendre leur place dans une société pour laquelle ils n’existent plus. « Faire de la vie commune des protagonistes le lieu d’un grand doute généralisé », conclut Fabrice Gobert. Les Revenants a déjà tout du luxueux objet télévisuel: romanesque délayé à l’extrême, intrigues constantes et refus de sentimentalisme. Il est d’ailleurs particulièrement intéressant de voir comment tout cela se noue au fil des épisodes. C’est là sans doute l’intention profonde de cette nouvelle série: donner du temps au temps.

TEXTE MAXIME DELCOURT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content