Francis Ford Coppola

OUVRAGE COLLECTIF, ÉDITIONS CAPRICCI, 192 PAGES.

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Il a été le roi Midas d’Hollywood dans les années 70, rêvé d’un cinéma électronique et connu la déveine dans les années 80, puis bricolé un art plus modeste, humain et faillible durant les trois décennies qui ont suivi. « Je considère ma carrière comme divisée en deux parties, explique Coppola. La première avec les grands succès, et la deuxième où je suis redevenu un étudiant en cinéma. » L’ouvrage qui paraît ces jours-ci chez Capricci remonte précisément jusqu’à sa laborieuse période d’apprentissage, quand il essuyait les plâtres dans les tréfonds du cinéma d’exploitation au tout début des années 60, sacrifiant à la mode émergente du « nudie » (forme préhistorique du film érotique gavée de starlettes topless) afin de se payer des cours de cinéma à la UCLA. Soit aussi, pour lui, l’occasion rêvée d’apprendre à s’exprimer avec une caméra. Dans la foulée, il est le premier d’une longue liste de futurs cadors du 7e art à se faire enrôler en qualité de monteur par le pape de la série B Roger Corman. Très vite, il devient l’homme à tout faire de ce mentor grippe-sou de génie dont le motto reste de faire du cinéma dingo avec trois bouts de ficelle. Sous-employé et sous-payé, l’élève trop doué s’affranchit du maître et part voler de ses propres ailes, mais restera toujours reconnaissant pour ces années de formation. Il y aura d’abord Dementia 13 (1963), opera prima qui en appellera d’autres, dont les monumentaux chefs-d’oeuvre au goût de paradis perdu que l’on sait -les deux premiers The Godfather (1972 et 1974) bien sûr, Apocalypse Now (1979). Le réalisateur y déshabille le mythe américain, le désosse, en radiographie la psyché malade et désaxée dans un mouvement circulaire d’enfoncement. Tandis que ses personnages tournent désespérément en rond, Coppola, lui, explose. Au propre comme au figuré, d’ailleurs, puisque sa réussite s’émiette dès les années 80 en expérimentations pourtant parfois formidables -sur les couleurs, notamment, à la typologie signifiante. La suite connaîtra ses hauts et ses bas fragiles, jusqu’à ses oeuvres les plus récentes -dont la dernière en date, Twixt (2012)-, reconsidérées ici fort à propos comme autre chose que de simples « rêves rafistolés de films grandioses », ainsi que le revendique Mathieu Macheret.

Faire planer un cachalot

Regards critiques, mises en perspective historiques, relevés précis des obsessions thématiques, anecdotes un peu folles… L’effort collectif, sobrement titré Francis Ford Coppola, se présente sous la forme d’une succession de chapitres à l’analyse brillante et percutante se fixant sur une période restreinte couvrant un ou plusieurs objets filmiques, et signés par quelques très belles plumes de la critique française: Gilles Esposito, Jean Douchet, Jean-François Rauger… -seul le texte consacré à The Conversation (1974), sublime errance solitaire à la parano désenchantée, apparaît objectivement un peu « court ». Un parcours chronologique à travers l’oeuvre monstre d’un des plus grands cinéastes de l’Histoire relevé de vraies fulgurances d’écriture. Ainsi Hervé Aubron, à propos d’Apocalypse Now: « Le blockbuster a trait, de près ou de loin, à la catastrophe, au spectacle de la destruction, au gâchis de ses moyens. (…) James Cameron a par exemple conçu le chantier de Titanic comme un possible naufrage. Coppola, quant à lui, fait de son tournage même une apocalypse. »

Texte-pivot de l’ouvrage, l’analyse par Aubron de l’opéra dégénéré de Coppola est splendide, définitive -« Il rêve de faire planer un cachalot », y lit-on encore-, et se prolonge avec un entretien-fleuve inédit en livre datant de 1978 où le cinéaste, alors en plein montage d’une oeuvre dont il n’a encore qu’une idée imprécise, confesse: « J’ai laissé aller le film là où il voulait aller et chaque fois que je le laissais aller, il devenait plus étrange. » Avant d’ajouter, sans ciller: « Peut-être que je quitterai le cinéma et que je deviendrai vigneron. » Coppola, visionnaire et voyant? On y revient.

N.C.

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