Fragile Guirlanda

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’énorme Lorenzo Mattotti revient avec un livre qui ne l’est pas moins: 400 planches oniriques pour un conte aux limites de l’hermétisme et du genre.

Guirlanda

de Lorenzo Mattotti et Jerry Kramsky. Editions Casterman. 400 pages.

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Il y a deux manières d’envisager, puis de lire, le retour de Lorenzo Mattotti et de son complice de toujours Jerry Kramsky, à la bande dessinée, après quinze ans d’absence et Le Bruit du givre -suivis certes de moult rééditions ou beaux livres. Soit en essayant de s’immerger dans leur histoire -l’étrange destin du peuple des Guirs sur la terre de Guirlanda, monde onirique et organique peuplé d’animaux fantastiques- et en sortir déçu ou a minima complètement déboussolé. Soit lâcher prise, accepter de n’y comprendre que pouic, et dès lors apprécier ce formidable objet qu’est Guirlanda, superbe avec sa couverture en carton, son dos toilé et ses 400 planches sur beau papier, un objet d’abord plastique à la hauteur de la plume de Mattotti, seul outil utilisé par le maestro italien pour remplir ce bijou. Une plume qui déambule dans un rêve éveillé, largement hermétique, mais capable d’envolées graphiques comme on en voit rarement -et comme lui seul peut s’en permettre. Et qui, surtout, vous fait aimer ce roman graphique, pourtant plus objet d’art que réelle bande dessinée.

Evasion et légèreté

Dédié aux Moomins de la Finlandaise Tove Jansson, mais aussi à Fred et Moebius, autres grands inventeurs de BD oniriques, flottantes et inclassables, Guirlanda est effectivement la tentative assumée par le duo de renouer avec ce sens de l’évasion et de la légèreté qui marquèrent leurs albums. De ce point de vue, le but est largement atteint ici: avec une insouciance et une spontanéité qui étaient absentes de Feux, de Stigmates ou de sa version du Docteur Jekyll et Mister Hyde, Mattotti offre des pages aux limites de l’abstraction mais aussi d’une rare beauté, amenant son style vers cette « ligne fragile » qu’il avait appliquée il y a 25 ans dans L’Homme à la fenêtre puis théorisée dans son manifeste Ligne fragile en 1999: « Un dessin émotionnel. Un style qui permet de retranscrire sur le papier l’état d’esprit dans lequel on se trouve« . Une plume légère comme la rêverie qui habite Guirlanda, proche très souvent du décrochage et de l’improvisation. Ligne fragile opposée à la ligne claire, ancrée autant qu’encrée dans la page et la planche. Et si cette ligne fragile a laissé de marbre votre serviteur quand elle s’attaque à la ménagerie baroque dont le duo abuse, elle devient merveilleuse quand Mattotti s’offre de longues séquences muettes et virtuoses dédiées aux forces de la nature et invitant à la contemplation: la séquence des fumées, la colère de la montagne ou le chant du Guir constituent ainsi de véritables tours de force graphiques, esthétiques et artistiques.

Olivier Van Vaerenbergh

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