LE ROMANCIER DEVENU CINÉASTE CONFIRME LES PROMESSES D’IL Y A LONGTEMPS QUE JE T’AIME AVEC UN TOUS LES SOLEILS RAYONNANT COMME UNE COMÉDIE À L’ITALIENNE, DRÔLE, ATTACHANTE ET… POLITIQUE.

Il s’était essayé derrière la caméra sur un mode dramatique, poignant. Son second film l’emmène du côté plus souriant d’une comédie aux accents tantôt burlesques, tantôt romantiques, pimentée de surnaturel et de politique. Philippe Claudel réalise avec un plaisir des plus communicatifs. Et quand il parle de Tous les soleils ( lire la critique page 31), c’est avec un enthousiasme éminemment contagieux. Faire du cinéma, pour cet écrivain accompli, reconnu, n’est pas un caprice ou une vanité. Le 7e art inspire joliment ce créateur sachant fort bien trouver, en images comme en mots, le chemin d’une popularité n’excluant pas la rigueur.

Quel fut le point de départ de Tous les soleils?

Il y eut plusieurs sources dont les eaux se sont mêlées. Il y avait d’abord la volonté de faire un film à Strasbourg, parce que j’adore cette ville et qu’elle n’a quasiment jamais été montrée au cinéma. A sa beauté visuelle s’ajoute le fait qu’en s’y promenant, on entende toutes ces langues, parlées par les nombreux fonctionnaires internationaux autour du Parlement européen. Cette polyphonie ne se trouve pas ailleurs, sauf bien sûr à Bruxelles. Ensuite, il y eut la découverte d’une musique, à travers un album qu’on m’avait offert et qui s’appelle La Tarantella. C’est une musique superbe, aux origines superstitieuses (on la jouait pour guérir les victimes de la morsure de la tarentule). J’avais très envie de l’utiliser pour un film, en lui donnant un sens profond par rapport à l’histoire qui se déroule. L’Italie est venue de là, aussi à cause de mon envie de faire une comédie, genre où les Italiens sont des maîtres. Ce mélange de tous les rires, y compris clownesque, avec aussi la gravité qui s’en mêle, et même le tragique comme dans Le Fanfaron de Risi. Et bien sûr avec cet accent de satire sociale et politique, dont j’avais aussi envie. Il ne me restait qu’à gamberger pour voir naître l’histoire, le personnage d’Alessandro qui est italien, qui vit à Strasbourg, et qui enseigne ces musiques à ses étudiants…

On rit beaucoup, mais le tragique est en effet sous-jacent.

Je voulais que le personnage ait cette part d’ombre, avec la mort de sa femme, son sentiment de perte irrémédiable, le travail de lecteur qu’il effectue dans les hôpitaux. Il fallait trouver la juste balance entre cela et les gags, les personnages carrément comiques comme le frère, la postière, le flic… On voit le portrait de Berlusconi servir de cible à fléchettes, et le frère du héros en fait son ennemi intime. Mais il y a aussi, sur le plan politique, l’allusion à La Princesse de Clèves, roman dénigré naguère par un certain Sarkozy… Dans le contexte d’une comédie à l’italienne, Berlusconi apparaissait évidemment comme le pion idéal. Plus généralement, ce qui me plaisait, c’est l’idée de moquer le pouvoir, le pouvoir poussé jusqu’au burlesque. Berlusconi en est le champion du monde, mais Bush n’était pas mal non plus dans le genre. Quant à La Princesse de Clèves, il est tout de même consternant de voir un haut responsable politique dire, dans un contexte certes particulier, que pour passer un concours d’entrée à la Poste, il ne sert à rien d’avoir lu ce livre. Cela voulant dire qu’il est inutile de le placer dans les programmes scolaires, et plus globalement que la culture n’a pas grand intérêt, qu’elle n’a pas d’importance pratique. Je montre toujours dans mes films des gens qui s’intéressent à la culture, qui lisent, qui font de la musique ou du moins essayent d’en faire. Nous sommes tous traversés par l’art, il enrichit nos existences.

Comment avez-vous choisi Stefano Accorsi pour interprète principal?

J’étais parti sur des personnages de 50-55 ans. Mais ce n’était pas une bonne idée, car ça aurait amené une certaine amertume, le sentiment d’une vie passée, d’espoirs définitivement déçus. La quarantaine d’Alessandro permet de se dire qu’il peut encore rêver, refaire sa vie. Stefano ( tout juste 39 ans, ndlr) est un comédien formidable, très connu en Italie, et qui parle très bien le français. Mais il faisait trop jeune. Coiffé normalement et sans barbe, il fait encore assez gamin. Je lui ai demandé de laisser pousser ses cheveux, sa barbe, de mettre de grosses lunettes, de porter des vêtements un peu amples, informes. Et en le voyant revenir au bout d’un mois et demi, je n’ai plus eu de doute!

Votre film parle aussi de la transmission d’une génération à l’autre et de la difficulté à communiquer nos émotions…

De la difficulté d’aimer, aussi, de dire qu’on aime, de montrer qu’on aime. Que ce soit entre un père et sa fille, un homme et une femme, une fille et sa mère, ou 2 frères. Le besoin d’amour est partout, donc le manque d’amour aussi. Cela me préoccupe. Comme me préoccupe la transmission. J’ai une fille qui va avoir 13 ans et je me demande sans cesse comment faire pour être un bon père, si j’arrive à lui transmettre le peu que je sais et ce qu’elle retiendra de moi quand je ne serai plus là… l

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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