Pour la pochette de son 4e album, Admiral Freebee a demandé l’aide d’Ed Templeton. L’Américain expose justement en ce moment au Smak, à Gand. L’occasion d’une interview croisée entre le rockeur anversois et l’artiste-skater.

A une dizaine de jours du vernissage de The Cemetery of Reason, Ed Templeton s’active pour que tout soit prêt. Sur les murs du Smak, le musée d’art contemporain de Gand, il imbrique des dizaines de cadres les uns dans les autres. Drôle de parcours que celui de l’Américain: star du skateboard, il a lancé sa propre compagnie de planches avant de se mettre à la photo et à la peinture, et voir ses travaux exposés dans le monde entier. Ses sujets de prédilection? Son entourage, ses amis, le monde du skate dans lequel il continue de jouer un rôle important… Récemment, il s’est occupé du visuel du dernier album d’Admiral Freebee, le 4e, intitulé The Honey & The Knife. « J’en avais marre d’avoir toujours ma tronche sur la pochette », explique Tom Van Laere de son vrai nom.

Lui est né du côté d’Anvers, a sorti son premier album en 2003, et enchaîne depuis les cartons avec un son rock plutôt roots, quelque part entre les Stones, Neil Young et Springsteen -à cet égard, The Honey & The Knife ne déroge pas à la règle. Le lien avec Ed Templeton? « Mon frère Tim possède une galerie d’art à Anvers, explique Tom Van Laere. J’ai fait connaissance avec Ed quand il est venu y exposer ses travaux. » L’Américain confirme:  » Tim m’avait raconté que son frère était une grande star ici. Je me rappelle m’être dit: « Ok, tout le monde doit être énorme en Belgique. » Mais quand on est allé acheter des pots de peinture au magasin, la radio a justement passé un de ses titres. Fuck , c’était vraiment sérieux! J’ai réalisé qu’il ne rigolait pas! » (rires)

Et vous Tom, vous connaissiez le travail d’Ed Templeton?

Tom Van Laere: Non. Je ne suis pas vraiment l’actualité artistique… Cela dit, ce que fait Ed m’a directement plu. Pour moi, ce n’est pas « difficile » d’apprécier son travail. Vous ne devez pas connaître l’histoire de l’art pour entrer dedans… En fait, j’aime les choses qui sont à la fois passionnées et distanciées. L’£uvre d’Ed est comme ça. Lui est comme ça. Il peut paraître froid à l’extérieur, mais à l’intérieur ça brûle… C’est un peu pareil pour moi. J’ai une vie très normale, mais quand je monte sur scène, je peux exprimer ma rage, tout ce que je hais chez les autres ou dans le monde. Pour moi, l’art est la manière la plus polie de s’accommoder de toutes ces choses.

Tom, vous auriez pu tenter une carrière dans le tennis; Ed, vous êtes une star du skate. Pourquoi au final avez-vous préféré l’art au sport?

Ed Templeton: C’est bête à dire, mais la plupart du temps c’est l’art qui vous choisit. Je ne peux pas me souvenir d’un moment où je me suis dit: « Je veux devenir un artiste. » C’est quelque chose qui est dans l’air. Il y a une part de volonté, mais aussi de hasard. C’est lié aussi au skate, aux gens qui tournent autour. Ceux que j’admirais dans le skate étaient des personnes très créatives…

TVL: Personnellement, il n’y a jamais eu aucun plan de carrière, j’aimais juste ça… En fait, s’il y a eu un choix, c’était celui d’opter pour quelque chose que j’aime faire.

ET: Et généralement c’est à ce moment-là que le succès arrive en fait. Au départ, il y a toujours le désir de faire, sans tenir compte du côté financier. Personnellement, si je peux pointer une raison qui a pu amener le succès, c’est que je… m’en foutais. Je gagnais très bien ma vie avec le skate. Je n’avais pas besoin de vendre absolument mes photos ou mes tableaux.

TVL: Là où je suis né, à Brasschaat, tout le monde avait de l’argent. Un jour, je me suis rendu à une audition pour un groupe. J’avais emprunté la voiture chic de ma mère. J’étais bien habillé, cheveux bien coupés. Résultat: ils n’ont jamais voulu me prendre. Cela aurait été trop mauvais pour leur image. Moi, je ne savais pas ce genre de choses ( rires). Sur le moment, cela m’a rendu très triste. Je pensais que c’était la pire chose qui pouvait m’arriver. Aujourd’hui, je me dis au contraire que c’est la meilleure expérience que je pouvais emmagasiner. J’ai dû me contenter de jouer seul, chez moi, tout le temps. Par après, je suis retourné voir le groupe en question. Jusqu’à un certain point, je me suis rendu compte que j’étais devenu meilleur qu’eux. Parce que j’arrêtais pas de jouer, même si je ne donnais jamais de concert.

Est-il facile de vieillir dans une culture jeune, que ce soit le rock ou le skate?

ET: Pour moi, c’est peut-être encore plus compliqué que pour Tom… Dans le milieu du skate, les mecs ont tous entre 18 et 25 ans, et moi j’en ai 37… On se fait encore régulièrement arrêter par les flics. Quand ils me demandent mes papiers, ils se demandent toujours ce que je fous là! ( rires)…

TVL: Personnellement, je me suis toujours senti vieux! ( rires). Je suis chaque fois surpris d’avoir un public plutôt jeune. J’en suis ravi, même si je ne le cherche pas. Au départ, j’ai l’impression de faire une vieille musique assez traditionnelle…

ET: C’est marrant parce que je me suis aussi toujours senti plus vieux que mon âge. J’ai toujours été plus à l’aise avec les personnes âgées, par exemple. Je pense que cela vient de mon grand-père, qui a été ma principale figure paternelle, mon père s’étant barré quand j’avais 8 ans… Au bout du compte, tout ce que je fais reste d’ailleurs assez traditionnel. A bien y regarder, ma photo est assez old school: je ne travaille qu’en argentique développé en chambre noire. Pour la peinture, c’est pareil. Aujourd’hui, dans l’art, il est beaucoup question d’installation vidéo, de concept… Or ce que je fais est très loin de tout ça. C’est juste la manière de le présenter qui rend le tout plus moderne.

Comment êtes-vous arrivé au skate?

ET: J’ai vécu de manière assez pauvre. J’ai grandi du côté de Huntington Beach, autodéclarée Surf City USA. C’est plein de surfeurs, il y a une vraie culture de la plage… Comme j’étais trop fauché que pour m’acheter une planche de surf, je me suis dirigé vers le skate. Il y avait bien les équipes de sport, bien sûr. Mais cela ne m’intéressait pas. Je voulais être seul, faire mon truc.

Plus tard, quand vous vous êtes lancé dans la peinture, aviez-vous certaines références en tête?

ET: Absolument. Des gens comme David Hockney, Egon Schiele… Quand j’ai commencé à m’y intéresser, j’ai dévoré le moindre ouvrage sur le sujet. Je n’ai jamais été à l’école, tout ce que j’ai appris vient des livres. Au début, je passais mon temps à comparer mon boulot aux bouquins. Ce qui m’a aussi aidé à me rendre compte à quel point on peut coller à ses influences. Je devais changer si je voulais être original. Pareil pour la photo.

Tom, vous affirmiez récemment dans une interview que l’on n’apprend jamais de ses erreurs…

TVL: Je crois en effet que l’on commet souvent les mêmes fautes. Mais peut-être d’une autre manière, sans le réaliser… A chaque fois, on repart de zéro et on fait les mêmes erreurs. Cela vaut pour les disques. Mais en amour, c’est pareil. Ed n’est pas au courant (1) ( rires), mais quand vous vous séparez d’une personne, et que vous en retrouvez une autre, vous pensez toujours que c’est la personne idéale. Alors que souvent c’est juste la personne qui sera à l’opposé de la précédente ou au contraire la même.

ET: En même temps, ce sont souvent ces erreurs qui font ce que vous êtes… Mes erreurs, elles sont ici aussi, accrochées au mur. En espérant que vous en appreniez quelque chose ( sourire)…

Vous bénéficiez chacun d’une certaine notoriété. Avez-vous le sentiment que la culture de la célébrité a changé?

TVL: Oui, énormément. Notamment sous l’influence de la téléréalité… C’est comme si tous les parents n’arrêtaient pas de répéter à leur gamin: « Tu es spécial », « Tu es exceptionnel ». Mais ce n’est pas possible!

ET: Ce sont des choses que tu dois dire quand tu es parent!

TVL: Oui, mais quand ils sont confrontés à la réalité, cela peut parfois faire mal. Ils se rendent compte qu’ils ne sont pas si spéciaux que ça. Mon père était parfait pour ça: il ne disait pas que tout ce que je dessinais était génial. Mais il donnait toujours un petit commentaire, en allant parfois dans les détails… Quand on visitait un musée, il ne me disait jamais ce que je devais regarder. Il me laissait divaguer et selon le tableau devant lequel je m’étais arrêté, il commençait à m’expliquer.

ET: Mon grand-père était super traditionnel, un born again Christian. Il voulait que je fasse des études, que j’aie un bon boulot. Mais cela ne l’a pas empêché de toujours m’encourager et m’aimer. Quand j’ai choisi le skate, je savais que c’était une torture pour lui. Il haïssait cela, mais il m’a toujours soutenu. Dans sa tête, je devais sûrement être en train de gâcher ma vie. Quand j’ai ramené le premier chèque, cela l’a rassuré…

Vous êtes également acoquiné avec la scène punk. Tom, ce n’est pas tout à fait votre truc, non?

TVL: Avec Ed, on s’est retrouvé sur Dylan en fait, dont on est tous les 2 fans. Cela dit, j’ai pas mal écouté des groupes comme Fugazi ou Sonic Youth, par exemple… Les gens sont parfois surpris que je puisse apprécier ce genre de musique. En fait, ce que j’ai appris de groupes comme Fugazi tient plutôt dans l’approche qu’ils ont des choses.

ET: Même en tant que skater, ou artiste, leur vision m’a inspiré. Ils ont toujours avancé selon leurs propres règles, à leur manière. Ils fixaient le prix de leurs concerts eux-mêmes, n’avaient pas de merchandising…

Justement, comment combiner votre activité commerciale, vos différents partenariats, et une certaine éthique punk?

ET: C’est le genre de question que se pose encore notre génération, mais plus tellement la nouvelle. Le fait est que toutes les compagnies avec lesquelles je travaille sont tenues par des amis que je connais depuis longtemps. Les fringues que l’on me donne, je les porterais de toute manière. Donc pas de problème, ce sont des produits qui me correspondent. Par contre, si McDo me faisait une proposition, je dirais non. En tant que végétarien, je ne peux pas soutenir McDo. Les compagnies avec lesquelles je bosse sont alignées sur ma vision des choses. Je ne signe pas de chaussures en cuir par exemple. Les gars sont ok avec ça, ils m’ont toujours suivi. Donc d’une certaine manière, l’éthique punk est toujours là.

Admiral Freebee, The Honey & The Knife, Pias. En concert le 15/04 au Vooruit (Gand), le 17 au MOD (Hasselt), le 21 au Depot (Louvain)…

Ed Templeton, The Cemetery of Reason, jusqu’au 13/06, au Smak, Gand.

(1) Ed Templeton s’est marié en 1991 avec Deanna, photographe rencontrée à un concert des Red Hot Chili Peppers alors qu’il n’avait que 15 ans, elle 18.

Rencontre Laurent Hoebrechts

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