C’est le lot du journaliste culturel aujourd’hui, tous secteurs confondus: quand il dépucèle les enveloppes dodues arrivées le matin, il a une chance sur deux de tomber sur une réédition. En musique, pas une semaine ne passe sans qu’un demi-dieu rock, folk, pop mais aussi, et c’est nouveau, hip-hop ne vienne se rappeler à notre bon souvenir -et faire sonner au passage le tiroir-caisse- avec une intégrale, un best of, un coffret, le tout accompagné d’inédits plus ou moins dispensables pour faire avaler la pilule au portefeuille. On pourrait consacrer un magazine rien qu’à ce business du recyclage. D’ailleurs, il existe, il est anglais et il s’appelle Mojo! Dernières couvertures: Nirvana, Johnny Cash et Kate Bush. Que du neuf!

Dans le cinéma, ou plus exactement sa version rétrécie, le DVD, c’est encore plus criant. A côté de certains distributeurs comme Carlotta qui maintiennent sous respirateur artificiel un patrimoine qui sombrerait sinon dans le coma de l’oubli, les majors régurgitent elles aussi à tour de bras les titres phares du passé. Pas question de laisser le catalogue prendre la poussière. Il faut le ren-ta-bi-li-ser. Ça tombe bien, le public en redemande. Ce qui peut sembler contradictoire à l’heure du grand essorage numérique, synonyme de dématérialisation accélérée.

De la pire daube aux pépites indémodables, tout le monde a droit à une deuxième, voire une troisième chance. Un trafic de seconde main, rhabillé en Blu-ray pour l’occasion, qui entre carrément en surchauffe à l’approche des fêtes. Quand le sapin est en vue, chaque enseigne dégaine ses box thématiques ou aux noms ronflants, de Hitchcock à Lino Ventura en passant par un pot-pourri des meilleures comédies british.

Le phénomène a contaminé les prés voisins. Certes, Balzac, Zola ou Hugo côtoient depuis toujours la production contemporaine. Mais cette prime d’immortalité ne profite qu’à une poignée d’auteurs consacrés par l’éducation nationale. Ce qui est nouveau en revanche, c’est que les maisons d’éditions se lancent dans l’exhumation planifiée de titres parfois obscurs qui n’ont pas trouvé leur public à l’époque, ou le temps d’un feu de paille, et qui méritent une nouvelle jeunesse. Belfond a même créé une collection à cet effet, baptisée Vintage. On peut y relire par exemple Le Bâtard d’Erskine Caldwell, une oeuvre clé du roman noir américain publiée à l’origine en 1929. La pêche peut même se révéler miraculeuse. Comme quand le poisson s’appelle Richard Yates. Il doit à cette politique de récup une gloire posthume, lui dont les livres (La Fenêtre panoramique, Easter Parade…) se vendent aujourd’hui comme des petits pains alors qu’il n’avait eu droit de son vivant qu’à un succès critique fugace.

La BD est elle aussi dans les starting-blocks. Ici, pas besoin d’avoir sa carte vermeil ou une place de parking au cimetière pour revenir hanter les rayons dans un nouveau conditionnement. Les jeunes côtoient les vieux crocodiles. On ne s’en plaindra pas quand ce sont les Pauvres aventures de Jérémie de Riad Sattouf (Dargaud) qui repassent les plats en un morceau…

Plus étonnant encore, et signe d’une forme de maturité de cet art relativement jeune, la danse contemporaine se met aussi à revisiter ses classiques. ATDK (Rosas danst Rosas), Trisha Brown (à l’affiche de la Biennale de Charleroi-Danses), après Merce Cunningham et Pina Bausch, s’autoplagient pour le plus grand bonheur du public qui les (re)découvre. Il faut dire que Béjart et son Sacre du printemps en perpétuelle représentation quelque part dans le monde avait montré la voie à suivre…

Profitons-en tant qu’il en est encore temps, d’ici peu, on n’aura plus droit qu’à la version lyophilisée de toutes ces nourritures. Un fichier digital sans relief, sans emballage, et basta!

PAR Laurent Raphaël

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content