SUR MADISON AVENUE, LES HOMMES SONT TALENTUEUX, LES FEMMES SONT BELLES, ET TOUT LE MONDE EST MALHEUREUX. BIENVENUE CHEZ LES « AD MEN » DE MAD MEN.

2010 fut l’année Mad Men. Après des débuts timides auprès d’un public peu habitué à un rythme aussi contemplatif et à des sentiments aussi intériorisés, la fiction de la petite chaîne AMC, aidée par une critique internationale dithyrambique, est devenue un vrai phénomène de société. Aujourd’hui, le monde entier se plonge avec délectation dans des années 60 pourtant peu hospitalières, et se passionne pour les tribulations d’anti-héros complexes et sombres, publicitaires au service de la société de consommation, évoluant dans l’étouffant vase clos de Madison Avenue, centre nerveux de la réclame. Dissection d’une série qui a construit son culte durant 4 saisons -il faudra attendre l’été prochain pour découvrir la cinquième.

Des comédiens über sexy

Cheveux impeccablement gominés, costumes -à 2 boutons, what else?- taillés sur mesure, cols de chemises parfaitement amidonnés, Don Draper a une maîtrise infaillible du style. Qu’il agrémente ça et là d’accessoires d’un goût très sûr: une pochette en soie, des gants de cuir, un borsalino anthracite gansé de noir… De l’allure, donc, mais aussi une attitude. Un brin autoritaire, un poil macho (poitrail velu faisant foi), porté sur la cigarette et la picole -mais attention, que du whisky millésimé-, le héros de Mad Men a une nature sauvage qui palpite sous ses larges épaules, et qui ne demande qu’à s’affranchir de sa bride.

Difficile de résister à tant de virilité, même si elle s’avère quelquefois détestable (Don n’est pas un modèle de fidélité ni de galanterie): les femmes qu’il croise dans la série et dans la vraie vie tombent en pâmoison devant lui -une flopée de médias américains consacrent chaque année son interprète Jon Hamm « homme vivant le plus sexy de la planète »-, et les hommes le singent copieusement -GQ pourra bientôt s’appeler « Don Draper magazine ».

Un bel animal qui a fait, dans la série, 3 enfants avec une desperate housewife à la moue boudeuse, Emma Bovary sixties en jupe corolle, Betty. Une blonde hitchcockienne en équilibre précaire sur le fil d’une vie à laquelle elle cherche -en vain- un sens. January Jones prête ses traits angéliques et sa silhouette irréprochable à ce personnage à la fois rigide et désinvolte dont la garde-robe est devenue culte auprès des fashionistas, et que les hommes adorent -le côté biche blessée qui ne demande qu’à être consolée. Mais une autre femme lui vole la vedette auprès du public masculin: Joan (Christina Hendricks), plantureuse secrétaire, aux hanches XXL et aux seins du même gabarit. Une Vénus de Botticelli qui est devenue un fantasme planétaire, avec sa démarche chaloupée, ses robes ajustées au millimètre, ses yeux de faon et sa voix de Marilyn.

Avec un trio aussi redoutable en tête de gondole, Mad Men magnétise l’écran et fait soupirer dans les chaumières.

Du style et de l’élégance

Mad Men, c’est une reconstitution tirée au cordeau des années 60. Avec des vêtements d’époque, bien entendu, mais aussi du mobilier, de la vaisselle, des bibelots, de l’électroménager… Et comme on est dans un New York plutôt opulent, il n’est pas question d’y voir d’abominables tabourets en formica mais plutôt des sièges en bois foncé aux pieds inclinés. Les luminaires prennent la forme de champignons ou de lampadaires Arco, les canapés sont Chesterfield, le modernisme influence les lignes de l’architecture d’intérieur et l’alu brossé habille aussi bien les cuisines que les bureaux. Les branchés du monde entier écument donc les puces et brocantes pour retrouver l’abat-jour en verre (ou le téléphone à cadran vintage, ou…) que leurs parents avaient jeté il y a 10 ans avec leur bénédiction.

Une époque formidable

Briefing à l’agence de pub Sterling Cooper. La grande question posée aux femmes pour savoir quelle lingerie leur irait comme un gant est celle-ci: « Etes-vous plutôt Jackie ou Marilyn? » Tout est dit: l’époque, les icônes, et la manière de catégoriser les femmes, sulfureux objets de désir ou premières dames bien comme il faut. Quand on évoque une époque formidable, il faut l’envisager avec un sacré second degré. Parce que certes, son bouillonnement intellectuel et ses avancées technologiques la rendent passionnante à regarder, mais la discrimination qui s’y promène à tous les étages (les femmes, mais aussi les Noirs, les homos…) en font un spectacle révoltant. Donc captivant.

Un noir hypnotique

Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir. L’homme est un loup pour l’homme: les personnages de Mad Men ne dérogent pas à la règle, et se tirent dans les pattes quand ils ne se tirent pas plus simplement vers le bas. Une obsession masculine: la conquête. Amoureuse ou professionnelle. Et tout ça pour quoi? Parce que c’est comme ça. Une hantise féminine: perdre la face. Parce que c’est comme ça. Alors, patiemment, les personnages se barricadent derrière des façades couleur dragée, sourient au monsieur et à la dame, tandis qu’à l’intérieur, c’est de l’essence de spleen qui coule dans leurs veines.

Un propos universel

A travers les tribulations de quelques pubeux et de leur entourage, Mad Men parle de bonheur. De marchandisation du bonheur pour être exact -les années 60 étant le théâtre de la montée en puissance du mouvement consumériste américain. Une philosophie qui a essaimé partout dans le monde, mais dont les Etats-Unis restent l’épicentre. Les cordonniers sont les plus mal chaussés, comme d’habitude: les marchands de rêve sont de grands désabusés qui ne rêvent plus tant que ça. Chronique de la solitude moderne, récit d’un individualisme galopant, Mad Men ne dénonce rien, ne propose aucune morale et aucun message. Mais démontre que ce que l’on croyait juste jadis, ce qu’on pensait adéquat pour conduire à une joie et une allégresse mondiale, était en réalité erroné. l

u LA SAISON 3 DE MAD MEN VIENT D’ÊTRE DIFFUSÉE SUR BE TV, ET ELLE LE SERA BIENTÔT SUR LA RTBF. SUNDANCE CHANNEL DONNERA LE COUP D’ENVOI DE LA PREMIÈRE CET HIVER.

MY.L.

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