On entend déjà les commentaires agacés:  » Mais ils sont tombés sur la tête? Trente pages sur le foot et la culture! Et pourquoi pas un numéro spécial ping-pong et culture tant qu’on y est…  » Même si les positions ne sont plus aussi tranchées que dans les années 70, quand il valait mieux taire sa passion pour le ballon rond à ses copains rockeurs ou cinéphiles pour éviter les froncements de sourcils ou, à l’inverse, passer sous silence toute trace d’activité intellectuelle sur son CV pour ne pas avoir l’air d’un fayot auprès des footeux du quartier, le sport le plus populaire de tous les temps provoque toujours des effets secondaires contrastés, amplifiés à l’approche d’un Mondial: bonheur, euphorie et vertige chez les uns, nausée, irritation et dégoût chez les autres. Ce numéro spécial ne va peut-être pas réconcilier tout le monde mais il devrait fournir un kit de survie aux accros du gazon pour ne pas finir comme des moutons déversant leur haine et leur frustration sur le camp adverse, et aux allergiques une main courante pour saisir les enjeux culturels du foot. Car il y en a. Sous l’épaisse couche de crème fraîche éc£urante de beaufitude -qui se transforme avec le temps en monument kitsch comme le confirme un simple coup d’£il aux vieux albums Panini…- se déploie un réseau souterrain de canalisations alimentant en fortes émotions l’immeuble de la culture. C’est presqu’une évidence. Comment les artistes, à l’écoute des palpitations et soubresauts du monde, pourraient-ils restés sourds à la clameur de centaines de millions d’individus? L’idolâtrie, la communion, la violence ou le fric roi interpellent, tétanisent, choquent, mais ne laissent pas indifférents. Ces coups de crampons dans le parquet du contrat social disent quelque chose de notre époque. Même si c’est quelque chose de pourri. Au-delà de cet effet de loupe médiatique qui impose le football en bruit de fond, les acteurs culturels ont aussi pris spontanément le pli de regarder les matchs sans les £illères idéologiques du passé. Un reliquat du post-modernisme, qui a rebattu allègrement les cartes. Exit la version contemporaine des jeux du cirque réservée aux prolos bas du front. Place à un loisir éminemment cool. Affirmer qu’une chevauchée fantastique d’un Messi dans la défense adverse ou qu’un tir ins-tinctif et improbable d’un Drogba ont quelque chose de magique n’est plus tout à fait incongru. Certains musiciens, écrivains ou cinéastes décomplexés s’en font l’écho. Ou avouent, comme Wenders ou Godard, une passion sans bornes pour ce sport-spectacle. Pendant 90 minutes, on vibre, on pleure, on flippe, on s’accroche. Comme dans la vie. Comme dans l’art. Tous les grands mythes y passent. Le tout porté à ébullition par ce piment redoutable: le hasard. Une alchimie, une tension que l’on retrouve dans la fièvre des concerts rock. CQDF. Un conseil: laissez vos préjugés au vestiaire. l

Par Laurent Raphaël

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