Quatre ans après la fin de Venus, groupe-phare du rock belge francophone, Marc Huyghens revient avec Joy, projet à 3 d’une classe folle.

Un zinc saint-gillois, en bord de parvis. Marc Huyghens est au rendez-vous, tasse de thé et sourire appuyé. « On a tourné le clip de Mirage l’autre jour. On s’est inspiré du film They Shoot Horses, Don’t they?, autour d’un concours de danse dont le couple gagnant est celui qui reste le plus longtemps sur la piste. On l’a réalisé en Super 8, noir et blanc. De la vraie péloche! » Marc Huyghens tient la forme. Serein et peut-être même tout simplement heureux, tiens. C’est dire le poids qu’a pris Joy, le nouveau projet de celui qui tenait les commandes du groupe bruxellois Venus. Le bonheur ne se prend qu’en contrebande: Marc Huyghens a donc filé le maquis et en sort aujourd’hui avec un premier album d’une intensité rare.

Flashback. En 99, l’album Welcome To The Modern Dance Hall chamboule le paysage rock belge francophone. Venus rime alors facilement avec dEUS, vaisseau-amiral anversois à voilure internationale (il sort d’ailleurs cette année-là son chef-d’£uvre, The Ideal Crash). Le groupe bruxellois mené par Marc Huyghens a aussi des ambitions, trouvant notamment un écho en France, gagnant le soutien d’hebdos influents comme les Inrocks. Un hit ( Beautiful Days), 2 albums et un passage par une major plus tard, l’aventure se termine pourtant. Aujourd’hui, Marc Huyghens analyse: « Mille fois je me suis demandé ce que je foutais dans Venus. Ou plutôt qui était cette personne qui s’appelle Marc, et qui chante ces chansons. Aujourd’hui j’ai vraiment l’impression de commencer une 2e vie dans laquelle je suis davantage moi-même, avec ce groupe, petite cellule autonome. On n’est pas en train de gagner de l’argent, contrairement à Venus. Tout le monde travaille avec passion. » Ce qui semblait pourtant être également le cas au sein de Venus. « C’est vrai », concède-t-il avant de s’interrompre 2 secondes, pensif, et de reprendre: « Je pense aussi qu’au départ il était assez nécessaire d’être égocentrique, de croire que l’univers tourne autour de vous. Quand j’y pense, c’était pitoyable ou pathétique. En même temps, cet ego fait avancer… «  N’empêche: à un moment la facture arrive, le prix à payer trop lourd. Fini Venus, même s’il ne sera pas si facile que ça de rebondir. « J’ai voulu redémarrer tout de suite, mais cela n’a pas été le cas. J’ai eu un contrecoup, un genre de dépression. Il a fallu du temps pour remonter la pente. »

Velvet

Quatre ans plus tard, voilà donc Joy, diamant sombre dont l’univers, par bien des aspects, n’est pas si éloigné que ça de celui de Venus. Paradoxal? « Question paradoxe, je n’en suis pas à un près », rigole Marc Huyghens. « Le fait est qu’avec Joy, je suis moins le frontman qu’un tiers du groupe. On fonctionne vraiment à 3 dans une formule déséquilibrée, un peu fragile. «  Le projet démarre avec Françoise Vidick, complice de longue date – « Je l’ai rencontrée au moment du premier album de So, mon groupe initial. On cherchait une choriste. «  Avec Joy, Marc veut lui donner de la place, mais pas sans s’adjoindre un 3e membre. « Dès le départ, c’était très clair. Mais on hésitait sur l’élément à rajouter: une basse ou un violoncelle? »

Finalement, ils croisent Anja Naucler, alors qu’elle accompagne sur scène Manou Gallo. Née en Suède, la violoncelliste est passé par l’orchestre de la VRT, et possède forcément un gros bagage classique. « On s’est vu une semaine plus tard. On a joué une heure ensemble, notamment 2 chansons que l’on avait déjà composées, Françoise et moi. Anja a complètement flashé sur Endless song, un morceau extrêmement baroque. Mais où elle joue tout le temps les mêmes 2 notes. Qu’elle soit aussi capable de faire ça était de bon augure. Il y a des gens qui deviennent malades s’ils ne peuvent pas exposer leur virtuosité. Ce n’est pas le cas d’Anja. «  Au passage, l’anecdote révèle l’une des lignes de conduite de base de Joy: « Etre capable de ne pas jouer, peu, ou beaucoup la même chose: c’est un peu la leçon velvetienne du jour », le premier album du Velvet Underground restant encore et toujours l’une des références de Marc Huyghens.

Fragrance

Au fil du temps, d’autres contours se dessinent, une sorte de cahier des charges officieux. Sur plus de la moitié des titres, par exemple, le morceau se lance sur un accord ouvert en ré. Autre particularité: « Françoise a toujours rêvé de jouer de la batterie. Je lui ai proposé de se lancer, mais en jouant debout. Déjà chez Venus, j’avais proposé à Thomas (Van Cottom, ndlr) de prendre la batterie, mais en se passant de charleston. Cela donne un cadre, qui pousse aussi l’autre dans ses retranchements. C’est très instinctif mais cela a une incidence sur le style.  »

Celui de Joy est cru, âpre. Sur la forme -trio inédit guitare, batterie, violoncelle- comme sur le fond d’ailleurs, la plume de Marc Huyghens dépeignant aussi bien les tourments intimes que les mouvements d’un monde ( Flag et la guerre en Irak) dominé par le cynisme. « Il y a ce sentiment d’impuissance et l’idée de profiter du peu de liberté dont on dispose », glisse l’intéressé. A cet égard, le nom du projet n’est pas qu’un contrepied aux horizons musicaux plutôt sombres qu’il développe: il est aussi devenu après coup référence au célèbre parfum, celui que le Français Jean Patou avait conçu en 1930. En plein krach boursier, celui-ci avait mis au point le parfum le plus cher au monde. Une goutte de beauté dans un monde à la dérive. Un luxe aussi, comme celui de faire de la musique à une époque où tout le monde en écoute, mais plus personne ne la paie.

Dans Joy, l’art sera donc toujours aussi important que la manière: « La démarche compte en effet autant que la musique. Je suis entouré de personnes dont j’adore la manière de travailler. » Avec ses paysages basaltiques exposés au grand vent, la musique de Joy a encore un pied dans le rock, tout en allant voir ailleurs, gagnant en épaisseur. « En même temps, ce n’est pas une musique expérimentale. Mais radicale. En fait, on veut faire une musique qui n’est peut-être pas directement accrocheuse, mais qui le devient par son intrépidité, par sa puissance comme sa fragilité. Cela a une valeur, qui bonifie avec le temps qui passe, et ça j’adore! » On le comprend…

Joy, Joy, Humpty Dumpty.

En concert notamment le 19/11 au Palace (La Louvière), le 03/12 au Magic Mirror (Bruxelles)…

Entretien Laurent Hoebrechts

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