FRANCES MCDORMAND A ENDOSSÉ LES HABITS DE PRODUCTRICE POUR OLIVE KITTERIDGE, ÉPATANTE MINI-SÉRIE HBO QUI LUI OFFRE EN OUTRE UN RÔLE DENSE ET COMPLEXE À SA MESURE, FAROUCHEMENT INDÉPENDANTE.

A l’instar d’une Gena Rowlands, Frances McDormand est de ces actrices qui imposent le respect, tant par son parcours, l’ayant conduite de Blood Simple, des frères Coen, à Moonrise Kingdom, de Wes Anderson, que par son indépendance, que l’on ne saurait mieux qualifier que de viscérale. Le cirque hollywoodien, très peu pour elle, et si elle est plutôt rare sur les écrans, la comédienne l’est plus encore dans les médias, où elle ne s’épanche qu’avec la plus extrême parcimonie; pas le genre de la maison, tout simplement. C’est dire l’événement que constituait sa présence, en septembre dernier, à la Mostra de Venise où, non contente d’accompagner Olive Kitteridge, mini-série HBO réalisée par Lisa Cholodenko, elle sacrifiait de bon gré au rituel promotionnel.

Un nouveau bébé

D’une amplitude peu courante, le rôle d’Olive est de ceux qui marquent les esprits, il est vrai, en plus de baliser une carrière, sentiment résumé par la scénariste Jane Anderson dans une formule choisie: « Fran est un mélange d’Olive et de la Marge de Fargo », soit le rôle qui devait valoir à Frances McDormand, épouse de Joel Coen à la ville, l’Oscar de la meilleure actrice en 1997. « Je dirais plutôt qu’il y a un peu de Frances dans Ollie et Marge Gunderson », corrige l’intéressée dans un grand rire. « Tous ceux qui ont été impliqués dans Fargo ont trouvé fascinant que Marge devienne un personnage à ce point emblématique. Pas plus Joel et Ethan que moi ne nous y attendions; lorsque nous tournions, nous adorions les personnages joués par Peter Stormare et Steve Buscemi. Je pense que l’esprit du temps, combiné à ce que connaissaient les femmes dans leur travail à l’époque où ce film est sorti, ont fait de Marge Gunderson ce qu’elle est devenue. J’ai passé ma carrière à jouer des rôles secondaires face à des protagonistes masculins, des femmes américaines de la classe moyenne ou ouvrière -c’est ce que je suis. Et voilà que maintenant, à 57 ans, je me vois offrir l’opportunité de jouer Olive, un personnage aussi iconique à mes yeux que ne l’était Marge… »

Cette opportunité, on doit à la vérité d’ajouter que Frances McDormand n’a laissé à nul(le) autre le soin de la lui ménager, prenant une option sur le roman d’Elizabeth Strout dont est adaptée l’histoire il y a une demi-douzaine d’années déjà. Le projet porte d’ailleurs à ce point sa griffe que Richard Jenkins, son partenaire à l’écran -il campe l’époux bienveillant de l’acariâtre Olive- n’hésite pas à le désigner comme « son bébé ». « Je n’avais jamais pris d’option avant de lire cette histoire. L’idée de devoir attendre qu’un projet se concrétise suffit à me rendre dingue. Mais quand j’ai lu le roman Olive Kitteridge, mon fils avait treize ans, et j’étais consciente qu’il allait partir cinq ans plus tard. Tant qu’il était à l’école, je restais un maximum de temps à la maison, ne m’absentant pour le travail qu’en alternance avec mon mari. Mais je savais qu’une fois ses 18 ans atteints, j’allais devoir m’occuper. J’ai commencé à aligner les projets, et j’ai eu la chance de les voir aboutir: j’ai produit Every Secret Thing avec Anthony Bregman, j’ai monté une tournée avec le Wooster Group et Olive a commencé à se concrétiser. Voilà pourquoi je me suis lancée: c’était en effet comme un nouveau bébé, pour me remettre du vrai, et lui permettre d’avoir l’espace pour respirer… » (rires)

Faire face

Frances McDormand a déployé une énergie peu banale pour mener le projet à terme, développant encore le scénario avec Jane Anderson avant d’être impliquée dans le choix de la réalisatrice, et de retrouver Lisa Cholodenko douze ans après Laurel Canyon -à la question de savoir si elle a jamais envisagé de mettre Olive en scène elle-même, elle sourit: « Un réalisateur dans la famille, cela suffit largement. » Le jeu en valait la chandelle: obstinément ordinaire, Olive est aussi une héroïne à sa manière, dont le trajet émotionnel se révèle bien plus riche que sa seule misanthropie de façade; humaine, en un mot. Et alors que le roman avait suscité son intérêt, la télévision lui a offert le format approprié -soit quatre épisodes d’une heure chacun. « Le roman consiste en treize épisodes et Olive en est le pivot, cela se prêtait idéalement à un découpage en chapitres. Et bien que je ne regarde que fort peu la TV, la découverte de The Wire, la série créée par David Simon que j’ai littéralement dévorée, m’a convaincue que c’était la meilleure manière de raconter cette histoire au féminin. Les 90 minutes d’un film n’auraient pas suffi, mais les quatre ou six heures que permettait une série HBO me semblaient constituer une durée parfaite. Pour moi, Olive Kitteridge est un film de quatre heures. »

Entre autres avantages, la durée a permis d’étoffer le personnage d’Olive, de lui donner du relief sans l’édulcorer pour autant. « S’il fallait ramasser Olive en 90 minutes, elle serait juste insupportable », relève l’actrice, avant d’enchaîner sur le « conflit d’intérêt » qui l’a parfois opposée à Lisa Cholodenko: « Je ne me suis jamais souciée de savoir si Olive était sympathique, pas plus que je ne me suis inquiétée de perdre l’empathie des spectateurs. Je ne le pouvais pas, parce que Olive ne le ferait pas non plus. Alors que Lisa avait à envisager les choses dans une perspective plus vaste, sachant que les spectateurs devaient l’accompagner d’une scène à l’autre, en considérant qu’elle soit digne d’empathie. Je ne voulais pas d’une version larmoyante d’Olive. Elle est faite de différentes couches, et de petites fissures, et c’est l’action qui lui permet de tenir le coup. Olive avance dans sa dépression et ses peurs en agissant. Au lieu de pleurer, elle nettoie -le son du récurage est tout à fait emblématique de sa personne. » Comme l’est sa manière de faire face, en toutes circonstances.

Autant dire que l’on est loin, ici, des stéréotypes féminins ayant généralement cours dans le cinéma hollywoodien, ce qui n’est bien sûr pas pour déplaire à Mrs McDormand. « J’ai joué des seconds rôles pendant toute ma carrière au cinéma, répète-t-elle, à l’inverse du théâtre où l’on trouve des premiers rôles féminins. La plupart des genres cinématographiques sont construits autour de protagonistes masculins. S’il arrive qu’il y ait un buddy-movie au féminin, comme Thelma & Louise, il est basé sur ce même moule. Et quand Angelina Jolie joue le premier rôle dans Salt, ce n’est jamais qu’une exception à la règle du film d’action au masculin. Il n’y a pas de genre cinématographique consacré à des personnages féminins, si ce n’est peut-être la comédie romantique. Et elles ne sont plus écrites par des gens comme Preston Sturges, ou mises en scène par George Cukor. Nous avons besoin de plus de rôles et d’arcs de développement substantiels… » Voir Olive Kitteridge, c’est aussi s’en convaincre…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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