LA CHORÉGRAPHE REVIENT SUR LA GRANDE SCÈNE AVEC UN SUPERBE AU PIED DU MUR DU TEMPS. RENCONTRE AVEC UNE ARTISTE MÉTISSE AUX LIENS HÉTÉROCLITES.

Dans Au pied du mur du temps, sept danseurs et trois musiciens maliens, en compagnie du contrebassiste Axel Gilain et du saxophoniste Nicolas Kummert. Résultat décoiffant. Après une entrée des danseurs en tableaux vivants, inspirés par le photographe malien Malick Sidibé, la musique et la danse vont se métisser en un voyage fabuleux. La tradition africaine épouse la danse contemporaine, le saxophone rencontre le balafon et le Boléro de Ravel entre dans la danse métisse. « Mine de rien, j’ai dû me reconnecter à cette Afrique, explique la chorégraphe franco-malienne, installée depuis 25 ans en Belgique. Le Mali, c’était ma famille, mais ma rencontre avec les artistes est récente. En 2006, invitée au Festival ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique, NDLR), je découvre une scène africaine, s’inspirant de la danse traditionnelle comme du kung-fu! Puis, invitée par le Kenyan Opiyo Okach, je me suis retrouvée avec des danseurs contemporains et traditionnels. Je me suis dit: « Pourquoi ai-je attendu autant d’années? » Mais le vrai début de cette aventure, ce fut en 2012, lors d’un stage au Mali. »

Si Fatou Traoré joue du n’goni (sorte de guitare-harpe), l’artiste a longtemps tiré la gueule à sa partie noire. « J’ai relié mes deux identités mais j’ai longtemps voulu être une danseuse intello contemporaine, pas jolie métisse, « blackounette ». Au Mali, je suis une chorégraphe « toubabette », une Blanche. Mais je m’appelle Traoré, de la grande histoire du Mali, de l’Empire mandingue. L’ambiguïté a existé ici et là-bas. »

« Surtout pas du Stevie Wonder et compagnie »

Celle qui ado écoutait de la new wave, « et surtout pas Stevie Wonder et compagnie », est née à Lyon, d’un père malien et d’une mère française… « Très vite, tu t’aperçois de ta différence. On te dit: « Mais tu ne ressembles ni à ton père ni à ta mère! » Au fur et à mesure, tu finis par t’habituer à être la colorée du groupe. » Elle démarre par la danse classique qu’elle finit par arrêter. « J’en ai fait, du classique, mais je me suis rendu compte que dans un corps de ballet, je ferais tache. J’ai alors poursuivi avec des stages (danse jazz, mouvement contemporain, etc.) où mes profs m’ont encouragée à poursuivre. » A 21 ans, elle débarque chez Anne Teresa De Keersmaeker/Rosas pour Ottone/Ottone. « Nous étions 350 à passer l’audition et elle me garde! C’est comme ça que j’ai commencé ma carrière. C’est un passeport. Après ATDK/Rosas, les gens s’en foutent que tu aies fait ou non le Conservatoire. »

Au bout d’un an, Fatou Traoré quitte la compagnie et trace sa route, en dansant avec d’autres chorégraphes: Nadine Ganase, Claudio Bernardo, Alain Platel, Johanne Leighto. En 1995, elle signe sa première pièce, On the Wave/Sur la lame, avec, sur scène, Aka Moon. « J’étais dans un monde très intello et j’ai donc eu la nécessité de retourner à quelque chose de « premier ». En voyant Aka Moon, une énergie directe, une complicité entre musiciens, la précision, je me suis dit: « Je veux vivre ça sur un plateau. » »

Le métissage démarre là, avec plus d’une dizaine de chorégraphies, des dialogues singuliers comme métisser la danse contemporaine au cirque dans des spectacles à succès, de La Syncope du 7 en France au Vertige du papillon avec le Cie Feria Musica à Bruxelles. « Fabrizio Cassol, le saxophoniste d’Aka Moon, m’a fait don du feu, ce fut initiatique. Mes rencontres ont façonné ma danse comme le hip hop, la danse africaine, le cirque, le jazz. »

On s’étonne d’apprendre que Fatou Traoré avait une (minuscule) convention (28 000 euros) de la Fédération Wallonie Bruxelles… arrêtée depuis 2007. « On n’a plus pu me situer dans l’acte chorégraphique pur et comme ça tournait pas mal, on a supposé que je pouvais m’en sortir seule. Faux! La convention permet un travail administratif crucial et la retirer à un(e) artiste, c’est signer son arrêt de mort et lui retirer sa reconnaissance. C’est dur à encaisser. »

Elle file alors en France pour Vibrations, sur la magie nouvelle, la lévitation, les hologrammes et les nouvelles technologies. « J’ai travaillé trois ans avec toute une machinerie pour créer une danse de la légèreté qui m’habite encore aujourd’hui. C’est vrai, j’ai un peu boudé la Belgique. Puis, Koen Augustjinen des Ballet C de la B m’a demandé de danser dans Au-delà. C’était marrant de recommencer ma carrière de danseuse à 45 ans. »

Entre-temps, Fatou Traoré met en collectif pluridisciplinaire son Studio Grez à Bruxelles. « J’avais complètement abandonné ma vie sociale et artistique à Bruxelles. Ce fut à nouveau le tissage de liens, avec une programmation de soirées pluridisciplinaires. On a même fait un Kunsten off. »

Aujourd’hui, à 49 ans, on retrouve donc Fatou Traoré sur la grande scène. Au pied du mur du temps passe de Charleroi-Danses à Namur et Liège. Rien à Bruxelles? « Le KVS est venu voir le spectacle. Je suis sereine. » Et cela se voit. Fatou Traoré a le gabarit d’une artiste libre qui avance en chorégraphe curieuse. Prochaines explorations chorégraphiques? « Le Cri des Antigone avec un choeur de 28 femmes et une collaboration avec unquatuor à cordes, sur la musique contemporaine de Ligeti et Sciarrino. » Et toujours le tissage comme moteur artistique…

AU PIED DU MUR DU TEMPS, LE 15/02 À LIÈGE (WWW.THEATREDELIEGE.BE), DU 18 AU 20/02 À NAMUR (WWW.THEATREDENAMUR.BE).

RENCONTRE Nurten Aka

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