DANS L’ACTU RÉCENTE, UN BOUQUIN D’UN OBSÉDÉ DES STONES RAPPELLE QU’ÊTRE FAN EST UNE MALADIE SANS CURE CONNUE. DE MORRISSEY, PRÉSIDENT DU FAN-CLUB ANGLAIS DES NEW YORK DOLLS, AU TIMBRÉ FOUILLANT LES POUBELLES NEW-YORKAISES DU DYLAN SIXTIES, RÉTRO SUR UNE DÉPENDANCE.

Nuit du 29 au 30 avril 1976, Graceland, Memphis. Le mec de la sécurité vient de choper un type, pas très grand, la vingtaine barbue-hirsute. Il a grimpé la grille et se dirigeait vers la maison d’Elvis quand il l’a arrêté avant les colonnades babyloniennes. Le mec se présente:  » Je suis chanteur, j’ai fait la couverture de Times et Newsweek à l’automne, tu me remets pas? Bruce Springsteen! » Bruce pas encore tout-puissant: le garde lui jette un regard de poisson mort et le prie de quitter la propriété sur le champ. De toute manière, Elvis est absent. Quelques années plus tard, Bruce commentera ainsi sa visite nocturne:  » Après, je me suis demandé ce que j’aurais dit si Elvis était venu m’ouvrir la porte, parce que, d’une certaine manière, ce n’était pas vraiment Elvis que j’allais voir, mais le rêve qu’il avait soufflé à mon oreille et à celle de toute l’Amérique. » Springsteen découvre Presley à sa troisième apparition au légendaire Ed Sullivan Show le 6 janvier 1957, il a sept ans mais ne le verra in vivo que 20 ans plus tard, le 28 mai 1977, en concert à Philadelphie. La confrontation de l’image sanctifiée de l’idole avec celle du roi décati et boursouflé, trois mois avant sa mort, conduira Springsteen à écrire l’une de ses plus fortes chansons, Fire,  » comme élément salvateur à sa tristesse ».

Morrissey Président

L’admiration de (futures) stars pour des étoiles déjà bien brillantes dans la galaxie rock fait partie du processus de transformation du fan en acteur. Quand Bowie enregistre Song For Bob Dylan en avril 1971 -pour Hunky Dory sorti huit mois plus tard-, il n’est encore qu’un bref stagiaire de la célébrité, ayant décroché le tube Space Oddity fin 1969, retombant ensuite dans un semi-anonymat folkeux. La matière cérébrale du « fan » -abréviation angliciste de « fanatic » tient de façon primordiale au fantasme. Celui-ci est nourri de la célébrité bien sûr, du talent éventuellement mais aussi d’un facteur exogène comme la distance et l’inaccessibilité . Le cas de Morrissey, futur végétarien à succès, va dans ce sens. A dix ans, ce fils d’immigrés catholiques irlandais déménage à Stretford, le Greater Manchester déjà décati par une désindustrialisation massive. C’est dans ce contexte gris qu’il découvre la flamboyance de T. Rex puis celle des New York Dolls: ces derniers, apparus via un premier album à l’été 1973, projettent une image bi/transsexuelle outrancière, platform boots vertigineuses, make-up, cheveux crêpés, fringues de filles. On imagine notre Steven Patrick, peut-être embarrassé par sa propre (homo)sexualité, recevoir cet exocet de théâtralisation poudreuse d’autant plus glamourisable qu’elle provient de New York. Ado, Morrissey sera donc président du fan-club anglais des Dolls: trois décennies plus tard, directeur de l’édition 2004 du Meltdown Festival londonien, il va convaincre les Dolls de mettre fin à 28 ans de séparation. Malgré ses trois musiciens morts (Johnny Thunders, Jerry Nolan et Billy Murcia), le groupe de David Johanssen s’exécutera pour un triomphe surprise avec de nouvelles recrues. De fan à star à mentor, Morrissey a fait du chemin. Comme Shane MacGowan, célèbre une première fois pour s’être fait mordre l’oreille à sang à un concert punk en 1977 -un magazine anglais titra Cannibalism at Clash gig-, célèbre véritablement via sa carrière solo et dans les Pogues. Le Shane ne pouvait pas non plus projeter qu’un jour le chanteur de Clash, Joe Strummer, témoin de l’avalement sanglant du lobe, lui servirait au début des années 90 de doublure dans son propre groupe (1).

Poubelles dylaniennes

Dans l’impossibilité d’incarner la célébrité rêvée, certains fans cherchent un autre type de reconnaissance. Au mitan des années 60, un dylanologiste proclamé, AJ Weberman, repère la maison de son idole dans le Village new-yorkais et commence, de manière obsessionnelle, à vouloir rentrer en contact avec Bob-le-misanthrope. Pendant des années, Weberman va ainsi jouer au chat et à la souris avec Dylan qui varie entre les tentatives de dialogue, au hasard des rues de Manhattan, avec son obsédé de fan et l’agacement fondamental. D’autant que Weberman l’assaille de coups de fils -les enregistre- et est persuadé que le chanteur lui expédie des messages par l’intermédiaire de ses chansons. Syndrome taré classique que le sujet concerné vérifie directement dans les poubelles de la famille Dylan: cette « garbologie » maniaque vaudra à Weberman au moins une rencontre musclée avec un Dylan à bout de nerfs. Un pont plus loin de fan-attitude et c’est l’affaire Ricardo Lopez vs Björk. Complètement vampirisé par le feu follet islandais, ce Floridien de 21 ans va suivre la ligne « je t’aime trop donc je te tue ». En septembre 1996, la police intercepte la lettre piégée envoyée par Lopez au domicile londonien de Björk. Le fan n’ira pas en justice: il s’est suicidé face à la caméra vidéo qui a filmé ses 18 dernières heures de délires divers et de préparation de l’engin mortel destiné à la star qu’il lui était impossible de rencontrer. l

(1) EN 1991, RUINÉ PAR L’ALCOOL, SHANE MACGOWAN QUITTE LES POGUES QUI LE REMPLACENT TEMPORAIREMENT PAR STRUMMER.

TEXTE PHILIPPE CORNET

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