DU 13 AU 15 JANVIER, TOUTE L’EUROPE DE LA MUSIQUE S’ÉTAIT FIXÉ RENDEZ-VOUS À GRONINGEN POUR LE FESTIVAL DE PROFESSIONNELSEUROSONIC. ÉLECTRO AFRO, KRAUT SUISSE, PSYCHÉDÉLISME GREC ET HIP HOP INSTRUMENTAL MUTANT… NOS DÉCOUVERTES ET COUPS DE CoeUR DU WEEK-END.

Groningen. Son mur de hamburgers et de croquettes où se pressent les noctambules affamés pour se caler l’estomac et se refaire une santé. Ses impressionnants bateaux-hôtels à la queue leu-leu où pieutent les gens du métier le temps du festival. Ses salles de concerts surprenantes et banales, kitsch et majestueuses, rock’n’roll et mystiques… Du 13 au 15 janvier, Eurosonic, la grande foire de l’industrie musicale européenne, LE festival de découvertes du Vieux Continent, a vécu. Morceaux choisis.

1 STUFF.

Ce sont un peu les BADBADNOTGOOD belges. Une bande de jeunes mecs hyper doués qui décloisonnent les genres et invitent jazz, hip hop et musiques électroniques dans un funk groovy et instrumental du futur. Le collectif d’improvisation gantois fondé par le batteur Lander Gyselinck revendique les influences de J Dilla, Afrika Bambaataa, Dorian Concept et autre Hudson Mohawke. Explorateur, STUFF. a enregistré son premier album (sortie prévue en mars) avec Daddy Kev. Kev est le gentil organisateur des Low End Theory Club Nights, ces folles nuits californiennes où Flying Lotus et le Gaslamp Killer ont fait leurs armes. Puis aussi le patron d’Alpha Pup Records, le label de Jonwayne et de Nosaj Thing, distributeur de Brainfeeder. La raison, selon le LA Weekly, pour laquelle Los Angeles est l’une des villes les plus vivantes dans le monde de l’électronique aujourd’hui. Emmené par un instrument à vent électronique (EWI), leur single D.O.G.G. est à aboyer de plaisir…

LE 6/02 AUX CONGRESSISTES (LIÈGE), LE 19/03 À L’AB.

2 Condor Gruppe

Nul n’est prophète en son pays. Mais c’est encore plus vrai quand ce territoire, aussi minuscule soit-il, se morcèle en trois communautés et autant de régions. Si Sergio Leone ne bouffait pas les pissenlits par la racine dans un cimetière de Rome, il embaucherait peut-être bien les Anversois de Condor Gruppe pour ses bandes-son. Constitué par des membres de Creature with the Atom Brain, Mauro and The Grooms et Flying Horseman, le supergroupe dégaine sur scène comme sur les neuf titres de son formidable premier album, Latituds Del Cavall, des ambiances de westerns spaghetti et de BO italiennes seventies criblées de touches surf, world et kraut. Le sifflement d’Ondt Blod donne l’impression de déambuler dans Et pour quelques dollars de plus. Ennio Morricone, sors de ce corps…

3 Sexton Creeps

L’Angleterre a pris pour fâcheuse habitude d’envoyer à Eurosonic des projets à vocation FM et commerciale -ce que font (tout est relatif et chacun avec ses moyens) la plupart des pays représentés à Groningen. Si 80 % des groupes au programme du festival de découvertes ne valent pas tripette, l’imposante délégation hollandaise garantit chaque année quelques belles découvertes. A fortiori depuis que les organisateurs ont compris que tous les professionnels se tiraient avant la soirée Noorderslag du samedi, réservée aux artistes néerlandais. Excellente surprise donc que ces Sexton Creeps locaux. Publié l’an dernier, Lesbian Skies est déjà le quatrième album de ce collectif tendu, sombre et psychédélique emmené par le possédé Jan-Harry Rus. Nick Cave chez les Bataves…

4 Acid Baby Jesus

Membres grecs de la communauté internationale psychédélique signés sur le label Slovenly Recordings (The Spits, Los Vigilantes, JC Satan), les Acid Baby Jesus ont accouché fin d’année dernière de Selected Recordings. Pas besoin d’un test de paternité: cet incroyable album garage, psyché et déglingué, ne joue plus seulement dans la cour des Black Lips et compagnie. Noda, Marko, Tili et Dox pimentent aujourd’hui leur rock’n’roll de la musique qui a baigné leur enfance à Athènes. Ce vieux folk grec bien éloigné de la pop hellène moderne et de ses candidats à l’Eurovision. Vous reprendrez bien un peu d’Ouzo.

5 Carmen Villain

Splendide grande blonde, ancienne mannequin qui fit les couvertures de Vogue et Marie-Claire, Carmen Villain (Hillestad sur sa carte d’identité norvégienne et pour le monde des top models) a changé de vie en 2013 quand, après avoir pendant des années écrit en privé des chansons inspirées par Bukowski et Boulgakov, la Scandinave se mit à les partager avec un public. Croisement entre Cat Power, PJ Harvey et… Nico, la belle s’est créé un univers dense, sombre, inquiétant et rêche. Enregistré avec Prins Thomas et un rockeur de Serena Maneesh, masterisé par Bob Weston et empruntant pour l’une de ses chansons (Demon Lover) le titre d’un film d’Assayas dont Sonic Youth a composé la BO, Sleeper traite de l’indifférence et du vide qui peut parfois nous habiter. Naomi Campbell, Kate Moss et Milla Jovovich peuvent aller se rhabiller…

6 Moaning Cities

Alors qu’approche à grands pas (on en reparlera) le festival psychédélique Stellar Swamp qu’il a lui-même initié, Moaning Cities est parti se promener à pieds nus, la sitar sous le bras, du côté de Groningen et y a laissé plus qu’une bonne impression. Désormais flanqués d’une batteuse, les Black Angels bruxellois orientalisés qui sont partis en retraite le mois dernier dans un vieux moulin à vent de Wallifornie bosser sur de nouvelles compositions ne comptent plus que quatre membres désormais mais sont assurément prêts pour leur mini-tournée en Suisse. A gémir de plaisir…

LE 20/02 AU MAGASIN 4, LE 28/02 À LA FERME DU BIÉREAU (LLN).

7 Clap! Clap!

Nouveau projet du producteur toscan Cristiano Crisci plus connu sous le nom de Digi G’Alessio (un clin d’oeil moqueur à Gigi D’Alessio, le Pascal Obispo transalpin), Clap! Clap! fait dans l’électro d’ethnomusicologue. Se passionne pour les chants africains traditionnels (qu’ils soient l’oeuvre de chanteurs, de groupes ou de tribus) et sample des enregistrements de cérémonies religieuses. Eclectique et percussive, sa musique électro afro dopée aux djembés chauffe le dancefloor sous le soleil du Cameroun et du Mali. Tayi Bebba est sorti en 2014 sur le label britannique Black Acre. Clap! Clap! Your hands, say yeah…

LE 19/07 À DOUR.

8 Zentralheizung of Death (des Todes)

Ce n’est pas forcément le nom le plus facile à retenir quand on ne pète pas un mot d’allemand mais impossible, ou presque, de l’oublier après avoir vu sur scène les Zentralheizung of Death. Les chauffages de la mort balancent avec une solide énergie et un gros son du garage énervé qui fait des clins d’oeil à la Californie de Thee Oh Sees et de Ty Segall. Le récit, sur leur blog, de leur tournée hollandaise vaut le détour. « On a d’abord été virés d’un bar pour avoir construit une pyramide de bière et commandé 30 pintes quand le serveur a annoncé le dernier verre, racontent-ils sur leur soirée à Tilburg. Puis je me suis fait dégager, tiré par les cheveux, d’un autre bar (Cul de sac) pour y avoir été surpris en train de tagguer. Enfin, après avoir échappé au sorteur, je me suis fait poursuivre et bannir du centre-ville par ces cons de la police à vélo. J’ai essayé de cacher mon cul dans un fastfood mais comme disait le crétin qui m’a expulsé: « Qu’est-ce que tu crois, c’est la Hollande. On a des caméras partout. » » Bad Kids.

9 Klaus Johann Grobe

Le spectateur d’Eurosonic est un peu le John McClane du troisième Die Hard. Se livrant par la force des choses à une course contre la montre dont il ne peut sortir vraiment vainqueur. Deux morceaux happés à la sortie de leur concert auront suffi à nous convaincre: les Suisses de Klaus Johann Grobe ont un bel avenir devant eux. Ces dadaïstes signés chez Trouble in Mind (souvent un gage de qualité) chantent en allemand la stupidité et le non-sens de nos sociétés sur d’entêtants rythmes psyché krautpop teintés de touches sud-américaines. A caser à côté de vos Fujiya et Miyagi.

10 Batida

Défendu par le label Soundway, hautement recommandable refuge des Meridian Brothers et de Fumaça Preta, Batida, c’est l’histoire d’une émission de radio conçue pour promouvoir les nouvelles musiques africaines devenue projet international, transcontinental et disciplinaire (danse, poésie, photo, vidéo). Ne trouvant disques à ses platines (« la nouvelle électro urbaine n’embrasse pas beaucoup la tradition contrairement aux artistes hip hop comme… Baloji qui sample les sons et rythmes traditionnels congolais« ), le Portugais Pedro Coquenao mêle lui-même samples de titres angolais seventies et electronic dance music moderne. Commentaire politique et social avec diabolique sens de la fête. A Groningen, Batida a fait un tabac et terminé son concert au son des sifflets qu’il avait lui-même envoyés dans la foule moite et déchaînée du Simplon.

11 Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp

Derrière ce nom inspiré par les « Tout Puissant » orchestres africains, ceux de Konono et Poly-Rytmo de Cotonou en tête, et par l’artiste qu’André Breton qualifiait d' »homme le plus intelligent du XXe siècle« , se cache un collectif genevois dingo de post-punk pop afro. L’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp, créé à l’occasion d’une carte blanche à la Cave 12, propose un rock inventif, excitant et dépaysant riche en instruments (violon, trombone, contrebasse et autre marimba). Des rythmiques inspirées par le free jazz sur lesquelles se pose la voix de la chanteuse Liz Moscarola. Virevoltants sur scène, ces Suisses (qui ne sont pas sans évoquer The Ex), ont fait produire Rotorotor, leur dernier album en date, par monsieur John Parish.

12 Santa Fé

Repérés dans un petit bar de la programmation officielle où on met rarement les pieds (Eurosonic compte tout de même 35 scènes éparpillées dans Groningen) puis surpris quelques heures plus tard en train de reprendre Thee Oh Sees lors d’une after party (dans un énorme bâtiment en attente de location, où la bière sold out a été remplacée par le Gin Tonic, puis le Tonic sans Gin), ces régionaux de l’étape pédalent dans le rock garage et psychédélique. A la poursuite des Black Lips, des Strange Boys et d’un Deerhunter. Good Santa.

TEXTE Julien Broquet, À Groningen

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