L’INTERPRÈTE DE GOODBYE MOROCCO, LUBNA AZABAL, A DES MOTS DURS, DES MOTS JUSTES, POUR FOUDROYER LE MAL TROP SOUVENT FAIT AUX FEMMES ARABO-MUSULMANES. UN SUJET SENSIBLE DONT LE CINÉMA S’EST EMPARÉ.

L’air du temps souffle avec bonheur (même si avec rage, souvent) sur le voile des apparences et l’oppression des femmes dans certains pays arabes et musulmans. Les Femmes du bus 678 et, tout récemment, Le Sac de Farine avaient joliment ouvert le bal d’une révolte en images où Héritage trouve aussi sa place, comme le fait Syngué Sabour – Pierre de patience, sur lequel nous reviendrons bientôt. Aujourd’hui, les écrans vibrent pour Wadjda de la réalisatrice saoudienne Haifaa Al Mansour (lire interview par ailleurs), et pour un Goodbye Morocco signé du cinéaste franco-algérien Nadir Moknèche. Un thriller à rebondissements captivant, offrant à Lubna Azabal un personnage admirable de femme divorcée vivant avec un étranger, bravant les interdits de toutes sortes et traçant sa route au mépris des menaces. Un nouveau rôle mémorable pour l’actrice belgo-hispano-marocaine applaudie voici quelques mois pour sa création déchirante dans Incendies. Interrogée sur Goodbye Morocco et le thème brûlant du statut de la femme dans la tradition arabo-musulmane, Lubna développe un discours enflammé mais remarquablement documenté, politique au sens le plus fort du terme. Même quand ils ne sont pas écrits par quelque scénariste, Lubna Azabal a les mots justes, les mots forts, violents parfois. Et le courage qu’il faut pour défier la vague d’oppression qui monte et monte encore, ici comme ailleurs.

Goodbye Morocco marque vos retrouvailles avec Nadir Moknèche, huit ans après Viva Laldjérie.

Nous étions restés en contact, téléphonique surtout. Un jour, je l’ai appelé car nous étions tous les deux à Paris, je lui ai proposé de dîner ensemble et il m’a parlé de Goodbye Morocco, qu’il était en train d’écrire. Il ne me destinait pas le personnage au départ, mais un déclic s’est fait quand il m’a vue entrer dans le restaurant. Il a alors écrit le rôle de Dounia pour moi. Quatre ans ont séparé le dîner du tournage, car ce fut un vrai combat pour lui d’arriver à monter le film… J’ai profité de tout ce temps pour faire mienne Dounia.

Le cinéma de Moknèche s’organise autour de formidables personnages féminins.

Ce sont toutes des femmes qui ont décidé de dire « merde ». Que ce soit en mettant du rouge-à-lèvres, un beau soutien-gorge… Ou en donnant des ordres. Ce qui est une transgression dans cette société musulmane où chacun a sa place. Ces femmes sont dans un perpétuel combat, face à cette volonté permanente des hommes qu’elles restent « à leur place ». Une obsession collective, pathologique, qui vire presque à la folie. J’admire énormément Nadir d’oser montrer cela. La féministe que je suis ne peut qu’adhérer à ce regard. Je crois profondément que si quelque chose doit changer dans les pays arabes, cela passera par les femmes.

Vous n’espérez rien des hommes?

Ce n’est pas ça, non. On trouve aussi chez pas mal d’hommes cette envie de liberté, de démocratie, même d’Etat laïque. C’est d’ailleurs comme cela que ces révolutions arabes ont commencé. Mais un changement réel, profond, ne pourra se faire que par les femmes, car ce sont elles qui assument la transmission, qui éduquent… Je rêve qu’elles kidnappent la rue, qu’elles soient dehors pour revendiquer leurs droits!

La célébration de la résistance ou de la révolte des femmes musulmanes est le thème de plusieurs films en ce moment. Comme s’il y avait une urgence…

Mais il y a urgence! Depuis toujours d’ailleurs, car la femme n’a jamais eu d’autre place que celle de subalterne, de dominée. Simplement aujourd’hui elle s’exprime. Des femmes osent prendre la parole, à travers leur rage, à travers leur corps, à travers tout ce qui pourrait déranger l’ordre ancestral, celui de la tradition, de la religion. C’est tellement vital, à l’heure où se produit dans les pays arabes un hara-kiri qui peut être irréversible, un retour en arrière qui peut enterrer tout espoir de progrès, pas seulement pour les femmes d’ailleurs…

Que peut l’art dans pareil contexte?

Le cinéma, le théâtre, portent les paroles de liberté, celles qu’il faut faire entendre sur place. Car il faut les aider, ces femmes en lutte, en leur donnant des outils. Le cinéma en est un très puissant parce que sa large diffusion annihile les frontières. A travers leurs films, les cinéastes disent à ces femmes: « Même si on n’est pas physiquement avec vous, on est là, on se bat, avec nos images. »

La démocratie peut-elle se saborder elle-même quand, loin des populations éduquées des grandes villes, loin de la jeunesse curieuse du monde, une majorité d’électeurs ruraux et pauvres votent pour les partis obscurantistes avec pour première conséquence de réduire encore les libertés?

C’est ce qui s’est passé en Iran, en Afghanistan, maintenant en Tunisie et en Egypte. Le terreau de ces dingues qui prêchent la religion fondamentaliste, c’est la misère, et l’ignorance. Les islamistes donnent aux pauvres du pain, de la farine en échange de leur vote. Par reconnaissance, par ignorance, ces gens souvent analphabètes obéissent. Une lobotomisation très efficace est en route. Les islamistes qui disent « N’ayez crainte, nous sommes des modérés, ce sera différent chez nous« , il ne faut pas les croire! Leur cap sera toujours le retour au Moyen Âge. La dictature religieuse est pire que la dictature politique, car elle pousse la terreur au summum, en la faisant entrer dans chaque tête, rendant la peur individuelle permanente.

Pas de dialogue possible, alors?

On ne peut pas parler avec des fous furieux. Montrez une cuisse à un cannibale, il la mangera… Cela ne sert strictement à rien de dialoguer avec des gens qui sont obsédés par un absolu, qui pensent faire l’oeuvre de Dieu. Laquelle est par définition non négociable. Toute concession ne sera qu’un trompe-l’oeil provisoire. Je ne suis pas pessimiste de nature, mais je crains que ce qui se passe soit irréversible…

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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