et filii

Notre désir de nous enfoncer dans les terres de Patrick Da Silva a germé avec Au Cirque, tribunal familial en huis clos, aussi farcesque qu’effroyable. Cette fois encore, l’auteur ancre avec foi sa mécanique, entre épiphanies poétiques et férocité du cru, mais l’étend à l’échelle de toute une communauté. Dans un village anonyme, l’usine, ciment vital, a fermé. Élie, âme en colère (lunaire ou  » brelot« , selon les échos), s’est suicidé après avoir sommé les responsables de rendre des comptes. Un couple de Hollandais a été massacré. Marthe, l’institutrice qui a vu grandir les minots du patelin, est derrière les barreaux. Pour (dés)orienter le lecteur dans ce puzzle troué d’équivoques, Da Silva introduit un séminariste introspectif féru de pêche et articule le récit avec des épîtres en écho ou contrepoint avec l’enquête. Résolu à  » tirer les vers de bien trop de tarins« , le prêtre en devenir trace à tâtons une cartographie fissurée, faisant sourdre un choeur discordant par-delà les crimes. Le limon âcre de rancoeurs qui a rendu le village marécageux finit alors par se déverser sans retenue. Ce qui est à l’oeuvre et importe ici n’est pas tant la résolution d’une énigme en vase rural qu’une langue baroque qui serpente, inquisitrice de ce que chacun recèle comme préjugés face à l’altérité (étrangers, nantis, illuminés). Celui qui s’arrimera aux prises parfois glissantes de ce roman obsédant en ressortira harponné. Aux effarouchés et aux plus tendres, on conseillera aussi Les Pas d’Odette, portrait-bijou en hommage à la mère du romancier. Question campagnes à dépiauter et âmes biffées de la littérature, on prend sans souci le pari que ce conteur atypique et attachant en a encore sous la semelle.

De Patrick Da Silva, éditions Le Tripode, 296 pages.

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