DE ROGER VADIM, 1956

Oum Kalthoum tourne six films de 1936 à 1947: comme les virées cinématographiques d’Elvis, il s’agit de comédies sentimentales scénarisées en chansons, tout à la gloire exaltée de leur interprète. Alors que Kalthoum est au pic de sa gloire -au milieu des années 50-, le metteur en scène Roger Vadim tourne Et Dieu… créa la femme. Vadim (1928-2000) a passé sa petite enfance en Egypte où son père est vice-consul de France: ce séjour romanesque dans un pays rendu fiévreux par l’indépendance donne au jeune Vadim un sens aigu de la lumière et creuse son attrait pour les mystères (supposés) de la femme. Peut-être a-t-il même entendu Kalthoum lors de ses fameux jeudis radiophoniques, mais c’est d’un autre genre de brune qu’il tombe raide: Brigitte Bardot. Il l’épouse en 1952 alors que la jeune mannequin de 18 ans fait ses débuts filmiques dans l’inoffensif Trou normand avec Bourvil. BB tourne ensuite une quinzaine de rôles peu marquants avant que Vadim ne l’embarque dans Et Dieu… créa la femme, 95 minutes d’ode à Brigitte, incarnation de la femme suprême faisant inévitablement tourner la tête des hommes.

Le décor comme la photo fifties, l’Eastmancolor, respirent la sensualité solaire de la Méditerranée, même si le scénario supposé sentir le soufre -une femme aguichante et trois hommes hypnotisés- résonne aujourd’hui comme une provocation calibrée. Mais cette France pudique de la IVe République, embourbée dans la Guerre d’Algérie, s’enflamme pour la « beauté du diable » de Bardot et la liberté sensuelle qu’elle incarne dans une moue à la fois candide et insolente. Comme si la poussée de testostérone qu’elle déclenche chez les tribus mâles n’était pas entièrement de son fait biologique. Le petit port traditionnel de Saint-Tropez, qui sert de décor enchanteur à l’intrigue, devient une référence de sea, sex & sun: sa carrière internationale à lui aussi va démarrer en trombe. BB a 22 ans et devient une vedette planétaire doublée d’un symbole sexuel majeur: son couple formé avec Vadim éclate dans le sillage du film où elle vit -pour de « vrai »- une passion avec Jean-Louis Trintignant, sur fond de trémoussements mambo.

Le film devient un rare hit français aux Etats-Unis où l’allure naturellement (?) sexuée de Bardot n’est pas sans rappeler celle de sa cousine américaine, Marilyn Monroe, une autre brune teinte platine, mais au destin nettement plus tragique puisqu’elle meurt en 1962 à l’âge de 36 ans dans des circonstances troubles jamais élucidées. Et Dieu… créa la femme précède la libération sexuelle des années 60, fait passer le cinéma du noir et blanc à la couleur, dégèle la Guerre froide en cours: avec le recul, on a davantage l’impression d’une confiserie poivrée que d’un brûlant manifeste existentialiste, l’époque étant aussi noyautée par Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, référence toujours actuelle de philosophie féministe. Tout cela prépare peut-être Bardot à son plus grand moment ciné, Le Mépris de Godard, sorti en 1963. Une autre histoire de séduction.

PH.C.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content