SI LA RÉACTION POPULAIRE FUT À LA MESURE DU TRAUMA, LES ATTENTATS DU 7 JANVIER ONT SANS DOUTE SONNÉ LE GLAS D’UNE ÉPOQUE ET D’UN CERTAIN DESSIN DE PRESSE, BÊTE ET MÉCHANT, MAIS SURTOUT INSOUCIANT. REDÉCOUVRIR SES AUTEURS RESTE DÉSORMAIS LE DERNIER DES HOMMAGES.

Le paradoxe aurait sans doute fait marrer les principaux intéressés; trois types sans culture, sans humour, et qui n’avaient sans doute jamais lu de leur vie tout un Charlie Hebdo, ont fait redécouvrir par l’absurde et l’horreur, mais à la France entière et presque au monde entier, toute la force et l’importance du dessin de presse. Le dessin de presse libertaire, ce fameux « esprit français » difficile à définir, et cinq de ses meilleurs représentants, dont deux septuagénaires et un octogénaire qui furent de tous les combats drôles depuis près de 60 ans. Or, si le dessin de presse et d’actu n’a sur le principe pas changé (couvrir l’actualité et en rire pour mieux y réagir, voire réfléchir et surtout provoquer dans le cas de ceux-là), l’esprit du temps, lui, n’est plus celui de l’époque de L’Enragé ou de Hara-Kiri, dont Cabu, Wolinski ou Honoré étaient, avec Siné, les derniers représentants. Le droit au blasphème n’était, au lendemain de la guerre, qu’une des nombreuses irrévérences revendiquées par cette bande de libertaires, cultivés et fidèles à Voltaire, bien décidés à s’en prendre à toutes les élites et à tous les conservatismes, la fleur au fusil et la révolte au bout du crayon.

Sales gosses

A l’heure où tout le monde « est Charlie » (singulière inversion des valeurs puisqu’ils étaient bien moins nombreux à le lire et encore moins à en dire du bien sept jours auparavant), il n’est donc pas inutile, et il ne reste d’ailleurs plus que ça à faire, d’en revenir aux livres et aux dessins qu’ont laissé derrière eux Cabu, Wolinski, Charb, Tignous et Honoré pour tenter de comprendre pourquoi leur assassinat a soulevé une telle émotion, derrière la barbarie et la lâcheté de l’acte. Car si la liberté d’expression était la cible idéologique des barbus, ils ont aussi flingué une page entière de l’histoire picturale et spirituelle de la France, qui se doit depuis sa Révolution d’apprécier malgré tout les sales gosses impolis -parce que tout révolutionnaire en a d’abord été un. Un esprit libertaire, puis punk, puis engagé, baigné par l’enfance et donc l’innocence, qu’il sera difficile voire impossible de conserver après l’ignominie du 7 janvier et la disparition sanglante de cinq dessinateurs. Patrick Pelloux, urgentiste et membre de Charlie, en essayant de résumer ce qu’il a ressenti sur le plateau de Ruquier, a eu ce mot bouleversant et plus que symbolique: « J’ai vieilli. » La guerre pacifiste que menaient ceux-là contre les cons ne sera sans doute jamais finie. Mais leurs livres resteront eux aussi, et pour longtemps, d’excellentes munitions. En voici quelques-unes.

TEXTE Olivier Van Vaerenbergh

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