Heimat, esprits libres

Armelle Oberle et Olivier Demeaux. Ombres et lumières. © Julie Hascoët / Myop
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Samples tordus de musique classique, chant magnétique et cornemuse pour boums occultes… Olivier Demeaux (ex-Cheveu) et Armelle Oberle (Badaboum) renouvellent la cold wave en allemand, en italien et en portugais. Esprit, es-tu là?

Quand on entend le mot « Heimat », on pense inévitablement au film et à la série teutons qui racontent la vie de paysans rhénans en balayant l’Histoire du XXe siècle. « Heimat », en allemand, ça veut dire « petite patrie, foyer ». Heimat, c’est le pays, la région, le lieu où on est né et où on a grandi. Éventuellement celui où on se sent comme chez soi. Olivier Demeaux est bordelais, habite à Paris et sera bientôt breton. Armelle Oberle, elle, vient de Lorraine. Ils ont fait connaissance il y a quasiment 20 ans, quand elle a invité Cheveu à jouer dans un squat de Strasbourg. « C’était au tout début du groupe. Étienne (Nicolas) l’avait rencontrée sur un chat archaïque. On est devenus potes. » À l’époque, c’était les débuts de la Grande Triple Alliance internationale de l’Est, un collectif artistique alors localisé à Metz et Strasbourg. « Rencontrer tous ces gens a renforcé mon envie de faire de la musique. Du coup, je me suis mis à squatter pas mal par-là. J’ai même créé un label: Tes Fesses Records. Armelle avait déjà un tas de projets. Crack Und Ultra Eczema était génial mais le groupe a splitté juste après que j’ai sorti le disque. Du coup, j’ai encore des stocks de CD chez moi. »

Vers 2005-2006, Demeaux et Oberle avaient déjà monté une ébauche de groupe: Kolkhoze en soi(e). Heimat est né en 2013 et a sorti son premier album trois ans plus tard. À la base, ils ne baignent pas vraiment dans les mêmes esthétiques. « Armelle vient des musiques déviantes, underground. Alors que moi, mine de rien, je sors plutôt du mainstream. J’étais pas super cultivé, expert des bazars rares et compliqués. Du coup, on a trouvé un équilibre entre mes trucs grand public et ses trucs déglingos. Moi, j’aimais vachement le Wu-Tang, Jay Reatard… J’ai grandi avec la musique des années 90. Elle, c’était des obscurités, la synthwave espagnole, les eighties un peu cold. Des trucs vachement réédités maintenant mais qu’elle écoute depuis longtemps. Elle est très en recherche. Elle adore l’art brut, l’art outsider. Armelle plongeait dans l’underground alors que je baignais encore dans le truc de lycéen. À Strasbourg et Bordeaux, les jeunes n’écoutaient pas la même chose. Elle, c’était les Sisters of Mercy et moi du rock à papa. Led Zep, Jimi Hendrix, Rage et les trucs de skateurs. »

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Yaourt et spiritisme

Alors qu’il est passé derrière un ordi chez Cheveu, Olivier crée des instrus un peu hip-hop avec des disques de kora qu’un coloc lui a laissés en se barrant. « Le premier Heimat s’est fait comme ça. On a essayé avec la voix d’Armelle dessus. Ça a pris direct. » Fascinante, telle une cousine latine de Nico et Anika, Oberle chante en italien, en portugais et en allemand même si un peu moins qu’avant. Zwei est un disque expérimental et mélodieux, chaud et froid, lugubre et dansant. Un album nocturne et accidenté. Esprit frappeur, musique frappée… Le hasard avec Heimat fait souvent bien les choses. Alors qu’il était tombé à sec avec ses samples de musique du monde (la source de leur premier album était plus orientale), Olivier a trouvé des disques par terre dans la rue. « De la musique classique d’Europe centrale. Du type Bedrich Smetana. Fin XIXe. Il y avait aussi des trucs argentins avec des guitares et une grosse banque de sons illustrations. Des cloches, des bruits de foule, des pas de chevaux… C’était une fin de déménagement, je pense. Les mecs avaient laissé un gros carton. Ça avait l’air d’être des gens très riches. Il y avait du Mozart. Des disques à peine ouverts. Des gros coffrets et des trucs super obscurs. Il y avait des dédicaces dedans. Je n’ai même pas tout pris. »

Après, Olivier a exploré, coupé, collé. « Je bosse avec un logiciel hyper facile. C’est un peu Ableton pour les enfants. Tu as des gros pads colorés. J’essaie de construire des trucs pas trop compliqués. » Il a aussi enregistré une vraie batterie qui traînait dans une grange. « Je trouvais ça cool d’aller chercher un son plus rock. Armelle part en freestyle et creuse quand on sent que ça marche. Après, on change ensemble les instrus, on rajoute des claviers. » Pour le coup, ils ont même enrôlé la joueuse de cornemuse centre-france Lise Barkas.

Enregistré à la Drêche et au Socopof, des ateliers/lieux de répète semi-squat strasbourgeois, Zwei est mystérieux. « C’est du yaourt donc ça ne parle de rien. Mais les titres te mettent un peu sur la voie quand même. Sur le premier album, Den Architect évoquait l’architecte d’Hitler Albert Speer. ça disait en gros: il est encore dans tes murs, Albert Speer, il écoute tout ce que tu dis. Un truc un peu paranoïaque. Ici, il y a Deine Frau qui dit en gros: sois sympa avec ta femme. Tu Miedo signifie « ta peur » en portugais et Quando « quand » en italien. Le mec qui a fait le clip est parti sur quand va se terminer la pandémie. Si t’es plus pessimiste, tu peux te demander quand est-ce qu’on va se prendre une grosse guerre dans la gueule. »

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Visuellement aussi, Heimat est plutôt du genre surprenant. La pochette de Zwei a été inspirée par Allan Kardec, l’un des pères du spiritisme moderne. « Dans le disque, il y a même une photo de sa tombe qu’on est partis prendre au Père Lachaise. » Le clip de Quando a été pensé comme un faux karaoké, celui bluffant de Ita a été réalisé par le Péruwelzien Valfret Van Molotov. Heimat aime snober les frontières, passer les murailles. Si Oberle a toujours un tas de projets sur le feu: Badaboum, Le Renard ou encore un duo de claquettes indus (Les Croisières Dolori), Demeaux a mixé le disque de pop électro assez intime et minimale de Marie Delta, a un nouveau projet avec Accident du travail et ses Ondes Martenot, et a créé la musique d’un docu sur la crise du monde paysan. « Ça part d’un fait divers. Un mec poursuivi par des gendarmes parce qu’il refusait des contrôles sanitaires. Il a été retrouvé mort dans sa bagnole en 2016.« 

Heimat, Zwei, distribué par Teenage Menopause/ Cry Baby. ****(*)

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