Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Soul à nu – Erykah Badu donne enfin une suite au premier volet de sa série New Amerykah. Au menu, introspection et groove subliminal. Splendide.

« New Amerykah Part Two: Return of the Ankh »

Distribué par Motown/Universal.

Il n’y a pas 36 manières de sortir d’une case. Soit en changer, soit attendre qu’elle s’évapore d’elle-même. Avec son premier album Baduizm, sorti en 97, Erykah Badu héritait directement du titre de reine de la nu-soul. Alternative au r’n’b et au new jack sirupeux, le genre prenait de la hauteur en allant piocher dans le jazz, le hip hop et la soul combative des années 70. Depuis, l’étiquette s’est un peu diluée. Erykah Badu a cependant gardé sa couronne. Celle de reine. Tout court.

On peut arrêter avec Lady Gaga 2 secondes. Il y a en effet moyen d’être excentrique sans forcément jouer la surenchère. Forte tête, voire grande gueule au discours parfois fumeux, adepte des tenues bigarrées et des coiffes imposantes, Erykah Badu a toujours visé la marge. Musicalement, depuis Baduizm, chaque disque s’est ainsi amusé à remettre une couche supplémentaire dans l’extravagance. A cet égard, New Amerykah Part One, sorti en 2008, représentait l’aboutissement de cette démarche. Remarquable, le disque fonctionnait par bouffées psychédéliques, bouillonnant et turbulent. Tourné vers l’extérieur, il semblait ainsi se nourrir du chaos du monde autant qu’il le racontait.

Deux ans plus tard, voici que débarque enfin le 2e volet de la série. Cette fois-ci, ce n’est plus la marche troublée de l’Humanité qui occupe le centre des débats. Erykah Badu a préféré scruter ce qui se passait directement en elle. Et ce n’est pas triste non plus. Musicalement, les saillies psyché ont été mises sur le côté. On n’a pas dit les audaces: Out My Mind, Just In Time est un morceau en 3 parties de plus de 10 minutes.

Groove impressionniste

N’empêche: à l’image du single Window Seat, le disque est peut-être celui qui se rapproche le plus de Baduizm. Comme si Badu retrouvait une certaine « ligne claire ». Même si le terme clair n’est pas forcément le plus adéquat dans ce cas-ci… Return of the Ankh fait plutôt partie de ces disques mystérieux, dont les ingrédients restent difficiles à déceler. S’y écoule une sorte de liquide amniotique musical, chaud et trouble à la fois -l’ânkh dont parle Badu est bien la croix égyptienne, symbole de fécondité et de féminité dans plusieurs traditions. En fait, à la manière des albums seventies de Marvin Gaye ( Let’s Get It On, I Want You, Here My Dear), New Amerykah Part Two est moins composé de mélodies que de grooves impressionnistes.

Et après tout, c’est encore la meilleure façon de faire quand on veut parler d’amour, thème principal du disque. Les histoires d’amour sont-elles condamnées à être compliquées? Non, parfois, elles s’éteignent d’elles-mêmes, semble dire Erykah Badu (mère de 3 enfants, de 3 pères différents). Qu’on ne s’y trompe pas: New Amerykah Part Two est un disque foncièrement amoureux, suggestif même. Cela n’empêche pas la miss de creuser les paradoxes du couple. Dans Window Seat, elle chante ainsi: « Can I get a window seat/Don’t want nobody next to me. «  Avant d’avouer plus loin: « But I need you to want me/Need you to miss me. «  De fait, on n’en sort jamais vraiment. Mais tant que cela donne des disques pareils…

Laurent Hoebrechts

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