Épisode 6: le maillot de bain

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La plage et ses rangées de corps presque nus étendus à perte de vue. Ses bambins courant en tenue d’Adam et Ève et ses visiteuses d’âge mûr offrant leur poitrine à la concupiscence des rayons du soleil et des chiures de mouette. Il n’y a pas à dire: les petites étendues de sable bordant les réserves d’eau où les êtres humains aiment se tremper durant la saison chaude semblent témoigner d’une sorte d’inversion des moeurs. Là où la civilisation s’est construite comme un système de réglementation du vêtement humain -et des circonstances où arborer telle tenue, ou telle autre, ou aucune- la plage marque en quelque sorte son effondrement. C’est ce qui a conduit les moralistes à tonner contre l’abomination balnéaire, tout comme les bourgeoises à longtemps dissimuler leur corps dans des maillots de bain imposants, dont on ne sortait que depuis une cabine à roulettes poussée jusqu’au milieu de l’eau. Les temps changent, sans doute. Il n’empêche que les variations de moeurs, des tenues encombrantes du début du XXe siècle aux tangas topless du XXIe, posent une question. Si, désormais, il ne semble plus vraiment y avoir de limite à la quantité de chair exposée sur le territoire d’exception qu’est la plage, pourquoi porte-t-on encore des maillots de bain? Pourquoi n’évacue-t-on pas la dernière trace de tissu -si ce n’est au titre, très littéral, de cache-sexe? Peut-être la réponse est-elle dans la question. Entre l’existence ordinaire et celle qui se déroule sur la plage, le curseur des règles s’est déplacé, mais pas le moteur de ce déplacement, qui demeure celui d’un consensus autour de la décence. Plus qu’avoir la moindre utilité (en dehors de celle de laisser des traces de bronzage qu’on trouvera, suivant les goûts, excitantes ou vulgaires), le maillot de bain est une convention, une manière de signaler le maintien d’une forme de société là où le contexte appellerait, par hypothèse, à son contraire. Quoi qu’il laisse voir, ou simplement deviner, tout maillot est un déguisement.

Chaque semaine, le pop philosophe Laurent de Sutter arpente le bord de mer et dissèque les objets indispensables des vacances.

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